Le 931ème Régiment autonome d'aviation de reconnaissance de la garde (Otdel'niy Gvardeyskiy Razvedvatel'niy Aviatsionniy Polk - OGRAP) trouve ses racines dans la Grande Guerre patriotique où l'unité dont il hérita des traditions s'illustra notamment au sein de la 16.VA, gagnant son nom honorifique "Prajskiy" après la bataille de chars qui se déroula dans la banlieue de Varsovie (à Praga ou Prajskiy en Russe) entre juillet et septembre 1944. Cette unité était alors dénommée le 98è Régiment autonome d'aviation de reconnaissance et de repérage (Otdnel'niy Korrektirovotchno-Razvedvatel'niy Aviatsionniy Polk - OKRAP). La lettre K pour "correction" précisait le rôle exact de ce type d'unité dont les missions consistaient essentiellement en la reconnaissance photographique et à vue au profit de l'artillerie ainsi que la correction des tirs d'artillerie. En janvier 1949, le régiment devint le 931.OKRAP, puis le 931.ORAP sans doute au début des années 60. Quant à son titre de la Garde, il fut hérité vers la fin des années soixante de l'un des escadrons fondateurs du 98.OKRAP qui avait reçu ce privilège. Le 98.OKRAP termina la guerre à Mohrin (Ostbrandenburg) et occupa successivement les terrain de Fürstenwalde, Köthen, Altes Lager, Zerbst, Stendal et Werneuchen. Outre des Polikarpov Po-2 et des Iliouchine Il-2KR, le régiment utilisa dans l'immédiat après-guerre des Douglas A-20 généralement désignés "Boston" en URSS. Jusqu'en 1955, le 931.OKRAP se singularisa par la présence d'une section de remorquage de cibles en son sein où se succédèrent A-20 "Box", Toupolev Tu-6 "Bat" (courant 1953) et quelques Iliouchine Il-28 "Beagle" (mi-1954) ! Lire l'étude très détaillée intitulée "Carnets de vol" donnée en lien sous ce paragraphe pour en apprendre plus sur ces activités et bien davantage encore. Outre les Il-28 remorqueurs de cibles, le régiment pris en compte des Il-28R de reconnaissance ainsi qu'une poignée d'Il-28U "Mascot" d'entraînement à partir de 1953. En mai 1963, des Yakovlev Yak-27R "Mangrove" remplacèrent un escadron d'Il-28R. Des Yak-28R "Brewer-D" commencèrent à remplacer les Il-28R de l'autre escadron à partir de 1968, tandis que les Yak-27R tirèrent leur révérence en 1975. En 1968, l'unité fit mouvement vers Werneuchen (1) au NE de Berlin (pour une description des Il-28R, Yak-27R et Yak-28R, se reporter à la première page de ce chapitre consacrée au > 11.ORAP).
En août 1968, le régiment participa activement à l'opération "Danube," soit l'invasion de la Tchécoslovaquie. Il est très vraisemblable que quelques avions, voire la totalité du 931.OGRAP (2), furent envoyés sur l'aérodrome de Mimoň-Hradčany comme quelques sources le mentionnent. En tout état de cause, cet aérodrome était situé dans la zone d'occupation assignée au Front central qui comprenait les forces est-allemandes et le GFSA. Les Yak-27R du régiment ornés des bandes rouges appliquées sur tous les appareils soviétiques ayant participé à l'opération, réalisèrent des missions photo visant à cartographier la quasi-totalité du pays de même que des vols de reconnaissance afin de localiser les colonnes de l'Armée populaire tchécoslovaque et rapporter leur position aux centres de commandement. Le rapport annuel de la USMLM pour 1968 précise que "les "Mangrove" sont rentrés à Werneuchen le 28 octobre après avoir fourni un support vraisemblable à l'invasion de la Tchécoslovaquie."
Le même Yak-27R que ci-dessus, mais cette fois revêtu de l'emblème de la Garde sur le fuselage.
© A.Blinov. Il existe plusieurs photographies - dont deux illustrant cette page à droite - montrant des Yak-28L du GFSA équipés de conteneurs RR8311-100 (> Photo) accrochés sous les ailes en lieu et place des réservoirs supplémentaires. Ces conteneurs étaient destinés à mesurer le taux de radioactivité dans l'air. Un Yak-28L ainsi équipé prenait la désignation de Yak-28RR (Radiatsionnaya Razvedka). Le développement de cette version débuta en 1963 et 23 anciens bombardiers furent convertis en Yak-28RR à Irkoutsk en 1964-65. Des réservoirs d'air comprimé assuraient la pressurisation du cockpit lors des prélèvements. De plus l'air été filtré par un dispositif IPG-106, tandis qu'étaient montés également un appareil destiné à mesurer l'intensité des rayons X, ainsi qu'un dosimètre DP-25. Le Yak-28RR est entré officiellement en service le 20 avril 1965.
Venons-en à la photo du Yak-28RR bort nomer 05 illustré ci-dessus à droite.
On peut voir sur la même ligne de vol des Yak-28R du 931.OGRAP et ce qui semble être un bombardier Yak-28I porteur
du numéro de code "24." Que faisait-il là, parqué entre deux Yak-28R ? Si l'on exclu l'explication la plus simple, à savoir qu'il s'agirait d'un avion visiteur, il existe une autre hypothèse intéressante.
Selon ce > lien
une cinquantaine de Yak-28I furent convertis en Yak-28BI par l'adjonction d'un radar de cartographie à balayage latéral "Boulat" (Epée) monté dans la soute à bombes.
S'agissait-il d'un tel appareil ? Son affectation à une unité de reconnaissance aurait été somme toute logique.
Des bombardiers trisoniques et stratosphériquesLes MiG-25RB et leurs variantes jouissaient également d'une capacité air-sol non négligeable - les appareils de Werneuchen ont souvent été observés munis de lance-bombes multiples. Grâce au complexe de navigagion intégré Peleng-D et -DR (Azimut) comprenant un ordinateur digital Orbita-10-155, un système de navigation inertielle ANIS-8 et un doppler DISS-3S, les MiG-25 étaient en mesure de bombarder en mode automatique (4) des objectifs aux coordonnées géographiques connues à 560 km de distance, qui plus est à vitesse supersonique depuis la stratosphère. Toutefois, l'ordinateur "Orbita" des premières versions du Peleng a longtemps posé des problèmes de fiabilité. La situation s'améliora progressivement avec l'introduction de la version "DM" du Peleng pour finalement aboutir à la meilleure variante, le Peleng-2.
Deux pilotes du 931.OGRAP en tenue de vol stratosphérique devant une variante de reconnaissance photo du MiG-25RB.
© Molodaya Gvardiya. Oleg Kozlov, pilote de Yak-28PP au second escadron du 931.OGRAP témoigne : "Des vols d'entraînement au cours desquels le silence radio était maintenu avaient pour but le largage de bombes de 500 kg depuis une altitude de 20 km, au-dessus du polygone de Louninets en république de Biélorussie." Un officier de renseignement français affecté aux services d'écoute à Berlin au cours des années 80 et souhaitant rester anonyme ajoute à propos des entraînements de routine : "Les appareils montaient à une altitude de 20.000 mètres et passaient en régime supersonique. Ils suivaient la route n°50 - soit le plan de vol standard n°50 pour Werneuchen. Le tir - apparemment fictif - intervenait à une distance de 80 kilomètres [vraisemblablement une erreur : la distance devait être plutôt de 40 km] de l'objectif potentiel et était annoncé par le pilote sous le terme "grom" (tonnerre, en russe) [le terme "sbros" pour largage était également utilisé]. Les pilotes de MiG-25 de Werneuchen pratiquaient cet entraînement de jour comme de nuit, lors de chaque journée de vol (mardi, jeudi et samedi)." Les MiG-25 du 931.OGRAP auraient été également des vecteurs nucléaires tactiques (voir > Les armes spéciales). Il reste néanmoins à déterminer et à confirmer selon quel profil de vol et avec quel(s) type(s) de bombes ces derniers auraient pu effectuer leurs missions spéciales. Bien que ne mettant en ligne qu'un seul escadron de reconnaissance volant sur MiG-25 (le second escadron continuant de voler sur Yak-28R - ces appareils seront remplacés par des Yak-28PP "Brewer-E" en 1986), le 931.OGRAP n’en a pas moins possédé un assortiment d'au moins six versions de reconnaissance différentes du "Foxbat." Au nombre de quatorze, les monoplaces de reconnaissance à systèmes électro-optiques MiG-25RBV et RBT "Foxbat-B" et ceux disposant de systèmes exclusivement électroniques, les MiG-25RBS, RBCh et RBF "Foxbat-D," constituaient, avec deux biplaces d’entraînement MiG-25RU "Foxbat-C," la dotation nominale ultime de cette unité en 1991, alors réduite à un seul escadron avant le transfert des avions au 11.ORAP à Welzow (6).
1 - Les photographesLa famille des MiG-25 de reconnaissance se décomposait en deux branches distinctes. D'une part les machines équipées d'appareils photo et d'un système ELINT et d'autre part, celles n'emportant que des moyens de renseignement électroniques. La toute première variante opérationnelle du "Foxbat" de reconnaissance était le MiG-25R "Foxbat-B" ou Article (Izdeliye) 02 dont la production débuta à Gorki - aujourd'hui Nijni-Novgorod - en 1969. Cet appareil équipé d'appareils photo et d'une suite ELINT Romb-4 (Diamant) était dépourvu de capacités offensives. La version suivante plus évoluée, était le MiG-25RB "Foxbat-B" (Razvedchik Bombardirovchtchik - Reconnaissance Bombardement) ou Article 02B, qui fut constuit à Gorki entre 1970 et 1972. Outre leurs appareils photo, ces machines mettaient également en oeuvre un système ELINT SRS-4A, -4B ou -4C Romb-4 - chaque version du complexe couvrant des bandes de fréquence différentes. Les MiG-25RB étaient protégés contre les radars d'acquisition et de tir par un brouilleur SPS-141 Siren' (Lilas) et disposaient en outre d'un détecteur d'alerte et de localisation radar SPO-10. Vers 1971, un nouvel ensemble ELINT plus performant désigné SRS-9 Viraj (Вираж - Virage) commença à être produit en série. Ce complexe fut monté dans de nouvelles cellules de MiG-25RB plutôt que l'ancien système Romb. Ainsi, ces appareils prirent la désignation de MiG-25RBV (V pour Viraj) ou Article 02V - chaque nouvelle variante apparue après le MiG-25RB pouvait être identifiée par une troisième lettre distinctive qui précisait quelle suite ELINT était embarquée. Le Viraj-1M offrait un spectre de détection des radars élargi. Il couvrait une bande de terrain de 450 km de part et d'autre de l'appareil (soit 900 km au total) mais une zone faisant 70 km de large située immédiatement sous l'avion n'était pas couverte. Les différents types de radars étaient reconnus et localisés avec une précision de l'ordre de 30 à 50 km. Les données étaient enregistrées sur bande magnétique et traitées au sol par l'OOI (Otdelniye Obrabotki Informatsiy - Département du traitement de l'information - ce dernier traitait aussi bien les photos que les informations ELINT). Le détecteur d'alerte radar SPO-10 n'était plus monté sur la variante RBV. C'est sans doute cette variante du "Foxbat" qui équipa le 931.OGRAP lors de ses débuts sur MiG-25.
C'est vers 1978-79 que fut lancée la conversion de certains MiG-25RBV en MiG-25RBT, alias Article 02T. Cette nouvelle version du "Foxbat-B"
était extérieurement semblable en tout point au MiG-25RBV, mais l'ensemble ELINT Viraj avait été remplacé par le
système SRS-13 Tangaj (Тангаж - Pas, dans le sens incidence).
Cette nouvelle suite offrait un spectre de détection des radars encore plus large et la précision dans la localisation des émetteurs était
portée à 10 - 30 km. La couverture restait de 900 km et les données étaient toujours enregistrées sur bande magnétique pour analyse au sol.
Ce système se retrouvait également sous forme de conteneur ventral emporté par les Su-24MR du 11.ORAP et faisait
partie des équipements internes du MiG-25BM.
La variante RBT bénéficiait du système d'identification "ami-ennemi" (IFF) Parol, du détecteur d'alerte radar Sirena-3M (Sirène) - lequel fut
remplacé ensuite par le SPO-15 Bereza (prononcer "beryoza" - Bouleau) en 1980 - et du système de déception SPS-141 Siren'.
D'autre part, les MiG-25RBT avaient été en principe rééquipés avec le complexe de navigation Peleng-2.
#1 : Reconnaissance standard (conditions VFR avec couverture nuageuse faible) : quatre appareils photo A-70M
de 70 mm logés obliquement dans la soute amovible principale et un appareil A-Ye/10 de 130 mm destiné aux prises de vue topographiques positionné juste derrière, sous le poste de pilotage.
Ce dernier couvrait un couloir de 10 à 15 km de large immédiatement sous l'avion, tandis
que les appareils A-70M élargissaient la couverture jusque 100 km. En toute configuration, le complexe de navigation Peleng enclenchait automatiquement les caméras aux coordonnées
programmées et un appareil photo FK-5 photographiait les coordonnées où chaque prise de vue était réalisée. Un posemètre SU5 faisait également partie de l'équipement standard.
Il s'agissait de la configuration la plus répandue. Un appareil ainsi équipé présentait le nez standard avec un hublot sous le poste de pilotage (appareil A-Ye/10) et quatre hublots
(deux obliques décalés de part et d'autre du nez et deux autres sous le nez moins inclinés et décalés) pour autant de boîtiers A-70M.
De jour, des photographies de grande qualité pouvaient être obtenues jusqu'à une altitude de 22.000 mètres.
#3 : Reconnaissance nocturne (et diurne) : deux appareils NAFA-MK-75 (NA-75) de 750 mm sous le nez -
qui dans ce cas pouvait ne disposer que de deux hublots et un appareil FK-5.
En conditions VFR, une bande de terrain faisant 15 km de large était photografiable. Des bombes éclairantes étaient larguées par le MiG-25 pour illuminer le sol au moment
de prendre des photos (vitesse maximale limitée à Mach 2,2 avec ces dernières - jusqu'à huit FOTAB-100-140).
L'existence d'une version RBN pour la reconnaissance de nuit a parfois été évoquée, mais les anciens réfutent catégoriquement
cette information. La documentation technique de l'avion n°55 du 931.OGRAP équipé pour la photographie de nuit - selon son numéro constructeur et la configuration
apparente de son nez - indiquait qu'il s'agissait d'un MiG-25RBV.
La ligne de vol de Werneuchen. © MLM
notes
(1)
Le 931.OGRAP a comblé le vide laissé par le départ du QG de la 132.BAD et du 63.BAP qui lui était subordonné. La 132.BAD contrôlait également le 668.BAP à Brand et le 277.BAP à Finow.
Toutes ces unités volaient alors sur des bombardiers tactiques Yak-28 "Brewer" de différentes versions. Les avions de Werneuchen et de Brand ont quitté la RDA en 1968 et ceux de Finow en 1970. ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Une adaptation de cet article a été publiée dans les numéros 469 et 470 (août-septembre et octobre-novembre 2020) du magazine Air Fan.
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