1989, l'année où s'écroulait l'Empire soviétique, marquait également la fin du déploiement des vieux Yak-28 an
Allemagne. L'une des premières découvertes faites à Werneuchen après le retrait des Russes fut un bunker de stockage
spécial de type "Granit-2", dont l'existence semblait contradictoire avec la présence auparavant d'appareils de
reconnaissance et de guerre électronique Yak-27, Yak-28 et MiG-25. Une analyse complète de ce bunker particulier ainsi
que de ses environs immédiats, de même qu'une étude détaillée de l'histoire des déploiements sur cette base étaient
nécessaires afin de résoudre cette énigme. Le stationnement d'armes offensives à Werneuchen avait cessé en 1968
lorsque tous les bombardiers frontaux de la 132.BAD furent retirés de RDA. Une unité de reconnaissance, le
931.OGvRAP, fut alors transféré de Stendal à Werneuchen après le départ du 63.BAP local. Les avions de reconnaissance
peuvent de toute évidence être modifiés pour transporter des bombes, mais avaient-ils également une capacité
nucléaire? Il y a quelques années, l'auteur a rencontré un pilote de Yak-28 de cette époque. Etonamment, le Capitaine de la
garde Oleg Kozlov vit maintenant en Allemagne, à Hambourg. Il fut l'un des rares à piloter le Yak-28PP "Brewer-E" de
guerre électronique entre 1986 et 1989, et il parla ouvertement de son temps à Werneuchen, déclarant :
"Notre aérodrome avait aussi son contingent de gloukhonyemye (sourds-muets)." [Il s'agissait du personnel responsable
des armes nucléaires. Ces derniers n'étaient pas autorisés à parler de leur travail aux autres personnes. Même lorsque
des supérieurs leurs posaient des questions, ils ne répondaient jamais, d'où leur surnom. Ces officiers
étaient considérés comme si importants, qu'ils avaient même la permission d'acheter une voiture en Allemagne de l'Est,
ce qui était normalement interdit au personnel soviétique. A Werneuchen, par exemple, seuls le commandant de base et le
commandant du personnel nucléaire pouvaient le faire - c'était exceptionnel, car un citoyen lambda est-allemand devait
attendre 12 ans avant de pouvoir acheter un véhicule privé.] Kozlov poursuit : "J'ai servi en tant que pilote au second
escadron du 931ème Régiment autonome d'aviation de reconnaissance de la garde. Les MiG-25 de reconnaissance du 1.AE
assuraient également une mission nucléaire. Les exercices de chargement de l'armement se déroulaient essentiellement de
nuit. Des vols d'entraînement [conventionnel] au cours desquels le silence radio était maintenu avaient pour but le largage de bombes
de 500kg depuis une altitude de 20km, au-dessus du polygone de Louninets en république de Biélorussie. Bien que j'ai été
gradué en tant qu'ingénieur de vol à l'école de pilotage de Barnaul (BVVAUL), je n'ai pas reçu d'entraînement spécial
en ce qui concerne le déploiement d'armes nucléaires. Mon Yak-28PP ne pouvait emmener que deux conteneurs lance-roquettes
UB-16 sous ses ailes; nous tirions des roquettes spéciales de contre-mesures électroniques de type S-5P."
Vu l'emplacement géographique du terrain, juste au bord de la Berlin Control Zone, l'Ouest était toujours bien
informé des activités se déroulant à Werneuchen. En 1971, des photos de reconnaissance permirent de découvrir les premiers
éléments préfabriqués en béton d'un abri de stockage pour armes nucléaires. Au cours des années suivantes, ces abris
furent construits hors de vue sur le lieu d'un ancien site de tir pour armes légères de la Wehrmacht. Les premiers
MiG-25RB furent aperçu à Werneuchen en novembre 1974, en remplacement des Yak-27R "Mangrove" de reconnaissance. C'est donc
au plus tard à cette date que des armes nucléaires capables d'être emportées par des MiG-25RB furent stockées sur cet
aérodrome. Aux côtés des "Foxbat" stationnés à Werneuchen, les MiG-25RB de Brzeg en Pologne, possédaient eux aussi une
capacité de frappe nucléaire. Le 164.OGvRAP de la 37.VA reçurent leurs premiers MiG-25RB fin 1973. Le double rôle de ces
appareils était considéré comme existant par les services de renseignement occidentaux qui, en 1975, estimaient leur
efficacité au combat comme suit : "Le déploiement sélectif d'armes nucléaires tactiques larguées à haute altitude et à
grande vitesse par les "Foxbat-B" dans le cadre de leur fonction secondaire, ne peut être exclue au regard des observations
connues des unités de reconnaissance stationnées à Brzeg."
Les alliés n'ignoraient pas non plus les activités qui se déroulaient à Zerbst, qui était situé juste sous le couloir
aérien sud de Berlin. Mais laissons la parole à Boris Rytchilo, qui fut affecté comme officier technique au
35.IAP pendant plusieurs années et qui publia une chronique de son unité en 2000 : "Le MiG-23M est entré en service de
manière presque simultanée dans les trois régiments de chasse de la 16.VA [les "Flogger-B" rejoignirent le 31.GvIAP de Falkenberg
en 1973, le 35.IAP à Zerbst en 1975 et les 787.IAP et 85.GvIAP respectivement basés à Finow et Merseburg, en 1976].
A cette époque, le MiG-23M était l'appareil le plus moderne et le plus complexe du Groupe des Forces Soviétiques en
Allemagne [GSVG]. Cependant, dès 1980, le MiG-23M était déjà considéré comme dépassé... seulement cinq ans après son
entrée en service. Le MiG-23ML "Flogger-G" avait entre-temps été livré aux autres régiments de chasse. L'entraînement
aux missions air-sol avait augmenté
en intensité. La nuit, afin d'éviter d'être détectés par l'ennemi [notamment lors
du survol des couloirs de Berlin par les appareils espions alliés], le second escadron s'entraînait au chargement des
bombes spéciales. Vers 1982, notre régiment devint une unité de chasse-bombardement (le 35.APIB). Ce n'est qu'à la fin
des années 80, lorsque nous avons reçu des MiG-29, que notre régiment redevint une unité de chasse à part entière.
Nos MiG-23M ont été utilisés en tant que chasseurs-bombardiers jusque 1989."
Mais Zerbst n'était bien entendu pas la seule base aérienne où les MiG-23M devaient assurer un rôle nucléaire tactique.
Des témoins oculaires ont confirmé l'existence d'activités similaires à Kolobrzeg au nord-ouest de la Pologne. Le
871.IAP de la 4.VA (auparavant 37.VA) qui volait sur MiG-23M depuis la fin 1973, y était basé. Cet aérodrome abritait
un bunker de type Granit, adapté au stockage temporaire des armes "spéciales". Une rampe de chargement discrète
proche du bunker permettait le chargement ou le déchargement rapide de l'armement qui y était entreposé. L'adjudant
Pavel Soutkine a témoigné sur internet en 2005 : "Les instructions méthodiques concernant la fixation de la bombe RN-28
[ou plutôt de la RN-40?] au MiG-23M devaient permettre aux équipages du 1.AE d'attacher la bombe spéciale dans des
conditions réalistes même sans l'intervention des techniciens. L'entrée dans l'abri [pour avions de type AU-11]
se faisait par l'arrière, à travers le canal d'évacuation du jet du réacteur. Cette ouverture était fermée et gardée
pour l'occasion. Les portes d'entrée de l'abri étaient entrouvertes de 15 à 20cm, tandis que la fente était couverte
de tarpaulins pour empêcher toute observation depuis l'extérieur. Un homme y montait la garde également. Tous les pilotes
du 1.AE étaient présents pour observer la procédure..."
Quatre régiments de chasse de l'Aviation Frontale en Europe de l'Est avaient une capacité de frappe nucléaire secondaire
avérée au milieu des années 70. Trois de ces unités disposaient en permanence de l'armement adéquat, qui était stocké sur trois
bases. Stargard en Pologne, Milovice en Tchécoslovaquie et Kiskunlachaza en Hongrie possédaient des entrepôts blindés de
type Granit-2 destinés au stockage d'armes nucléaires. Tököl, également situé en Hongrie, abritait un
site de stockage temporaire. En Tchécolovaquie, ces armes étaient entreposées
exclusivement à Milovice. Après l'occupation soviétique de ce pays en 1968, cet aérodrome fut transformé en base
mixte. Aux côtés des hélicoptères et des avions de transport et de liaison, la base fut également le port d'attache
du 114.IAP qui vola successivement sur MiG-21, MiG-23 et MiG-29 pendant une période s'étalant sur 20 ans. Les armes
nucléaires étaient stockées prêtes à l'usage dans un abri Granit-2 situé au bord du périmètre de l'aérodrome.
A Kiskunlachaza au sud de Budapest, c'est au 2.AE du 14.GvIAP, une unité qui fut convertie sur MiG-23ML en 1979,
qu'incombait la frappe nucléaire tactique. Les "Flogger-G" furent remplacés par des MiG-29 "Fulcrum-C" en 1986, ce qui
permit au régiment de garder sa qualification nucléaire. Toujours en Hongrie, le 1.AE du 515.IAP de Tököl assurait son
rôle secondaire nucléaire avec des MiG-21SMT. Ceux-ci furent remplacés par des MiG-21bis en 1982,
puis par des MiG-29 en 1987. La capacité nucléaire du régiment fut ainsi perpétuée jusqu'à la dissolution du 515.IAP
en novembre 1989, ses appareils étant transférés au 5.GvIAP à Sarmellek.
Le 159.GvIAP à Stargard-Kluczewo à l'ouest de la Pologne, vola
quant à lui sur MiG-21 jusqu'à la fin des années 80, lorsqu'il reçu des Su-27 "Flanker". L'auteur ignore si le Su-27
fut conçu également dans une optique de frappe nucléaire. Mais à cette époque, la guerre froide se terminait et l'arsenal
nucléaire d'Europe de l'Est avait vécu.
Ce chapitre est une adaptation de l'article intitulé "Nuclear Power" par Stefan Büttner, publié dans le numéro de mars
2009 du magazine Aircraft Illustrated (Ian Allan Publishing) - voir mulitmedia. Avec tous
mes remerciements à Stefan Büttner et Ben Dunnell, éditeur.
Avec mes remerciements à Siete Meeter pour ses images d'abris pour armes nucléaires. Voyez davantage de photos sur son
site et cliquez sur "Hidden places/Germany/Russian airbases".
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