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Le MiG-25 était rempli d'alcool pur. Cette caractéristique en a enrichi certains et en a incité d'autres à faire des excès...

931.OGRAP Les hangars de Werneuchen au SO. © O.Kozlov.

The Werneuchen hangars on the SW side of the airfield. © O.Kozlov.
Les avions de reconnaissance MiG-25R étaient uniques - également parce qu'ils étaient remplis de l'alcool le plus pur. Du coup, toute une sous-culture s'est développée autour de ces machines attachées au Groupe des Forces Soviétiques en Allemagne où un liquide à 60° a remplacé la monnaie conventionnelle. L'auteur de ces lignes a goûté lui-même la "saveur" de l'aviation militaire soviétique. Un général du département politique de la 16è Armée aérienne après avoir regardé mes documents avait déclaré avec bienveillance : "Donc, vous avez obtenu votre diplôme avec mention. C'est bien. Eh bien alors, vous irez servir dans notre régiment avancé." Ainsi, jeune lieutenant diplômé d'une école politique de l'aviation, j'ai fini par servir dans la plus célèbre garnison d'aviation militaire du GFSA à Werneuchen. Mais je n'avais toujours aucune idée de la raison pour laquelle cette dernière était célèbre en son sein. Un régiment autonome d'aviation de reconnaissance de la Garde était stationné sur l'aérodrome situé à environ 30 kilomètres de Berlin-Est. Ses pilotes recevaient souvent des décorations militaires en temps de paix, comme par exemple lorsque les photographies rapportées des vols de reconnaissance permettaient d'identifier une base de sous-marins ou de nouvelles positions de missiles américains. Cela était possible grâce à l'exceptionnel avion de reconnaissance MiG-25R qui montait dans la stratosphère et pouvait, en survolant la frontière avec la RFA ou les eaux internationales, voir une bonne partie du territoire de l'Allemagne de l'Ouest. Aussi, les avions pouvaient accélérer jusqu'au delà deux fois la vitesse du son. Cependant, Werneuchen n'est pas devenu célèbre dans le GFSA à cause des vols héroïques de ses pilotes qui, soit dit en passant, ne faisaient pas l'objet d'une grande diffusion. Cela découle plutôt des particularités du MiG-25R. Avant de voler à des altitudes extrêmes et à vitesse supersonique, chaque appareil, en plus du kérosène, emportait 60 litres d'alcool médical le plus pur et encore 350 litres d'un mélange eau-alcool à 60° [Certains donnent respectivement les chiffres de 50 et 250 litres ou encore 150 à 180 litres de mélange selon les missions des MiG-25RB et BM]. De l'éthanol dilué était nécessaire pour les systèmes de dégivrage et de refroidissement, tandis que l'alcool pur était utilisé avec le radar et l'électronique.

931.OGRAP Un officiel est-allemand descend d'un MiG-25RBCh du 931.OGRAP de bonne humeur. Aurait-il déjà goûté au "Massandra" ? © DR.

An East German official gets off a MiG-25RBSh of the 931.OGRAP in a good mood. Has he already tasted some "Massandra"? © DR.
Bien entendu, après chaque vol, des dizaines de litres inutilisés étaient vidés des avions et conditionnés dans divers contenants transformés immédiatement en monnaie universelle en quantité généralement suffisante pour tout le monde. Les pilotes obtenaient habituellement de l'alcool distillé, tandis que les mécanos et techniciens se contentaient d'alcool dilué avec une légère odeur provenant des joints d'étanchéité en caoutchouc. Le chef du service carburants et lubrifiants du bataillon autonome de support technique d'aérodrome était spécialement honoré. Des tonnes d'alcool étaient stockées dans son entrepôt. Il avait le grade de capitaine. Mais en terme de statut, il n'était sans doute pas inférieur à n'importe quel lieutenant-colonel. Il risquait cependant beaucoup. Que personne n'ait jamais été pris pour consommation excessive de carburant et de lubrifiants est un grand mystère. Sans doute cette monnaie particulière a-t-elle aidé à communiquer avec les inspecteurs... Le liquide à 60° portait le beau nom du vin de Crimée "Massandra." Dans le folklore militaire, le nom a été transformé en abréviation qui se déchiffrait comme suit : "Mikoyan Artem, Fils Glorieux du Peuple Arménien Donne de la Joie aux Aviateurs." D'autres variantes sont également connues. Par exemple "Mikoyan Aviation Chaleureusement Fourni avec de l'Alcool - les Gens sont Satisfaits du Travail du Concepteur de l'Avion." On ne pouvait que deviner le volume d'alcool en circulation dans la ville de Werneuchen. Ainsi, lorsqu'un voisin du dortoir, un adjudant du service d'ingénierie aéronautique enleva un cadenas et ouvrit une immense armoire atteignant le plafond, il découvrit des rangées interminables de bouteilles de trois litres contenant du "Massandra" et une lignée de récipients métalliques de dix litres. On racontait que quelqu'un n'ayant pas suffisamment de récipients à la maison utilisa quelque temps sa baignoire pour stocker le précieux liquide. Enlever l'arrière-goût du "Massandra" faisait partie des sujets de conversation les plus populaires parmi les officiers et les sous-officiers. On parlait de charbon actif, d'Aronia noir et de morceaux de noix entre autres ingrédients anti-odeurs. Le "Massandra" à 60° sans arrière-goût qui n'avait pas été dans les réservoirs ou les canalisations de dégivrage était particulièrement apprécié. Ce dernier était disponible lorsque la quantité requise pour un vol n'était pas entièrement approvisionnée dans l'avion, laissant ainsi un "surplus." Mais c'était une manipulation très risquée. Si les systèmes de dégivrage ou de refroidissement venaient à défaillir en vol dans la stratosphère, le pilote et l'avion pouvaient être perdus. Dans ce cas, ingénieurs et techniciens auraient eu droit à un procès. Le "truc" suivant était parfois utilisé pour obtenir de la "Massandra" pure : le liquide drainé d'un avion revenu de mission était réinjecté dans un autre et la quantité d'alcool non souillé qui lui était allouée escamotée. Mais là aussi, le risque était grand. Le mélange de qualité inférieure ou périmé pouvait ne pas remplir son rôle à une altitude où la température était de -60° ou lors du passage en vol supersonique lorsque la surface de l'avion chauffait à plus de 1000° [Ce chiffre semble largement surestimé. Les bombes emportées lors d'un vol à Mach 2.35 pouvaient résister à une température de 300°]. La monnaie alcoolique de Werneuchen était demandée non seulement au sein des unités d'aviation du GFSA, mais également parmi les tankistes et les unités de fusiliers motorisés. Vous pouviez obtenir beaucoup pour cela. On vendait aussi l'alcool, y compris aux citoyens est-allemands qui, pour quelque raison, l'appréciaient. Peut-être à cause de son prix relativement bas. On racontait qu'avec les gains provenant de la vente d'alcool économisés pendant plusieurs années, des techniciens pouvaient se payer une "Jigouli."

931.OGRAP La ligne de vol de Werneuchen. © O.Kozlov.

The Werneuchen flightline. © O.Kozlov.
Curieusement, cette mer d'alcool ne conduisait pas à l'ivresse. Ils buvaient, certes, mais avec modération les jours fériés. Les exceptions étaient très rares. Le fait est que le service dans le GFSA était non seulement honorable, mais également bien payé. En plus des allocations en roubles, transférées régulièrement tous les mois sur un compte ouvert dans une banque d'état en URSS, les officiers et sous-officiers recevaient une belle somme en marks est-allemands qui leur permettait par exemple d'acheter des tapis difficilement trouvables en Union Soviétique. Ils ont donc assuré le service et se sont abstenus de boire avec excès. Sinon, ceux qui avaient perdu honneur et dignité quittaient le GFSA et étaient réassignés par exemple en Transbaïkalie. Les travailleurs politiques ainsi que les organisations du parti et des Komsomol ne dormaient pas. Les services spéciaux non plus. Beaucoup d'histoires circulaient à propos d'Artem Mikoyan et son idée originale. Selon l'une d'elles, quand le commandement des VVS a appris que près d'une demi-tonne d'alcool était versée dans l'avion, les généraux auraient hurlé que les pilotes allaient se saouler. A cela, l'ingénieur leur aurait répondu à peu près que si cela était nécessaire pour les caractéristiques de vol, il remplirait l'avion avec du cognac, le moral des pilotes étant le souci des généraux. Le MiG-25R n'est pas le seul avion "alcoolique" dans l'histoire de notre aviation. Environ 400 litres d'alcool pur et dilué étaient versés dans les bombardiers à long rayon d'action Tu-22 des premières séries. Ensuite, les militaires ont demandé à l'OKB Toupolev de changer le système. Ils affirmaient que trop d'officiers des régiments de Tu-22 étaient radiés pour alcoolisme. Seulement 5 litres sont absorbés par le Tu-22M3 (1). Le sujet de l'alcool gratuit semble appartenir au passé. Il était d'actualité pendant la période de total déficit soviétique quand une bouteille de vodka d'un demi-litre coûtait 3 roubles et 62 kopecks alors que le salaire moyen dans le pays était de 100 roubles. Par contre, une miche de pain blanc coûtait 20 kopecks, un trajet en métro ou en tramway respectivement 5 et 3 kopecks. Aujourd'hui, une bouteille de vodka bon marché représente cinq trajets en métro ou six miches de pain. Peu coûteux. De plus, la vodka n'est plus vendue avec des coupons.

Adapté de l'article de Sergey Savelyev publié le 27 janvier 2021 dans le journal "Moskovskiy Komsomolets."

notes

(1) Beaucoup d'autres appareils utilisaient de l'alcool pour assurer le fonctionnement de différents systèmes. Ainsi en était-il par exemple des Su-24MR qui nécessitaient 80 litres d'alcool pur pour refroidir les composants électroniques du conteneur Chpil'-2M de reconnaissance laser. Quatre litres étaient utilisés pour refroidir l'avionique et l'alcool était bien pratique pour nettoyer l'optique des caméras...


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