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BRIXMIS BRIXMIS
Le Squadron Leader Roy Marsden était navigateur dans la RAF. Il fut affecté à BRIXMIS en tant qu'officier de renseignement (Tour Officer) et interprète Anglais-Russe de 1973 à 1976. Quand il était off-pass (1), il exercait la fonction de photographe lors de vols de reconnaissance aérienne exécutés à bord d'un Chipmunk basé à RAF Gatow. Il nous explique dans cet article en quoi consistaient les vols de renseignement effectués par BRIXMIS au-dessus de la Zone de Contrôle de Berlin.


Peu après la fin de la seconde guerre mondiale, six Missions militaires de liaison alliées et soviétiques furent établies sur le territoire de l'ancien troisième Reich. La contribution Britannique était connue sous le nom de BRIXMIS. Cependant, après peu de temps, la liaison ne fut plus la seule activité et l'espionnage devint inévitablement la fonction la plus importante de BRIXMIS. L'une des opérations les plus capitales et dangereuses était la collecte en vol de renseignements sur les installations soviétiques en Allemagne de l'Est et Berlin Est. Cette dernière impliquait la prise de photographies à l'aide d'appareils photo traditionnels depuis un avion monomoteur Chipmunk qui était officiellement utilisé par la RAF pour l'entraînement.

Les vols de la RAF dans la Zone de Contrôle de Berlin

Chipmunk RAF Gatow La devise de RAF Gatow : "Pons Heri Pons Hodie" se traduit par "Hier un pont, un pont aujourd'hui."

RAF Gatow motto "Pons Heri Pons Hodie" translates by "A bridge yesterday, a bridge today."
Il exista, entre 1946 et 1990, une unité de renseignement britannique hautement sensible qui opérait derrière le rideau de fer, à l'intérieur de la République Démocratique Allemande. Cette unité, généralement oubliée et largement inconnue même au sein des Forces Armées Britanniques, était connue sous le nom de BRIXMIS, un acronyme compliqué pour "British Commanders'-in-Chief Mission to the Soviet Forces in Germany" (Mission du Commandant en chef britannique auprès des Forces Soviétiques en Allemagne). L'unité fut mise sur pied en 1946 comme seul moyen de communication entre les Commandants en chef britannique et soviétique des zones d'occupation en Allemagne. Elle était installée dans un bâtiment situé à Potsdam près du Quartier Général du Commandement soviétique de Karlshorst à Berlin-Est. Bien entendu, il existait un accord réciproque avec les forces soviétiques dont la Mission était connue sous le nom de SOXMIS. Cette dernière était autorisée à travailler dans la zone d'occupation britannique depuis Bunde, près du Quartier Général du Commandement britannique, non loin de Hanovre. Bien que les Quartiers Généraux des deux commandements déménagèrent plus tard pour Zossen-Wünsdorf et Rheindahlen respectivement, les missions militaires restèrent dans leurs locaux d'origine. Il existait des accords similaires avec la France et les Etats-Unis. Le règlement britannique, connu comme l'accord Roberston-Malinine, permettait à 31 membres de chaque Mission de recevoir à tout moment un laissez passer soviétique ou britannique qui leur donnait un droit de passage dans chaque zone d'occupation respective. Incidemment, ce nombre de laissez passer était le plus élevé parmi les autres Alliés occidentaux qui n'en partageaient que 32 entre eux, à savoir 18 pour la Mission militaire de liaison française (MMFL) et 14 pour la Mission américaine (USMLM). Naturellement, BRIXMIS devint plus qu'un simple canal de communication entre les Commandants en Chef. La prise de conscience que BRIXMIS pouvait observer les forces soviétiques sur la ligne de front était une trop belle opportunité pour la laisser passer et la Mission se transforma en unité de soldats professionnels hautement spécialisés, qu'ils soient issus de l'armée de terre, d'aviateurs ou de marins. Ces spécialistes étaient capables d'évaluer chaque aspect des forces soviétiques et est-allemandes qui auraient très certainement été intégrées au premier échelon en cas d'attaque contre les forces de l'OTAN, le long de la frontière interallemande. Beaucoup d'aspects relatifs à l'observation des forces soviétiques et est-allemandes par le personnel de BRIXMIS, connue ésotériquement sous le terme de "Touring" (littéralement "en voyage" - comprendre en mission), ont été couverts admirablement par deux publications. La première était appelée "Au-delà de la ligne de front" (Beyond the Front Line) par Tony Geraghty de "Qui ose gagne" [soit les commandos SAS - Special Air Service] et la seconde était "La dernière mission" (The Last Mission - réédité en 2012) par Steve Gibson, un ancien officer de l'armée affecté à BRIXMIS en 1989 et 1990.

Land Rover BCZ Cet article couvre un aspect de l'activité de la Mission qui n'a pas encore été traité, à savoir l'"Air Touring" [soit les missions d'observation aériennes] plutôt que le "Ground Touring" [soit les missions d'observation terrestres]. Il détaille les difficultés rencontrées pour obtenir des images utilisables depuis une plateforme instable ainsi que les dangers spécifiques aux évolutions au-dessus du territoire de l'Allemagne de l'Est et de Berlin-Est à bord d'un Chipmunk monomoteur. Il était normal, pour un nouveau membre de la Mission issu de la Royal Air Force, de passer ses premiers mois à découvrir les joies des missions de renseignement effectuées en voiture en RDA. Cette période consistait à visiter les aérodromes et les champs de tir soviétiques et est-allemands, pour observer et photographier les activités aériennes. Lorsque le temps était trop mauvais, les installations au sol relatives à l'aviation telles que les sites radar ou de missiles sol-air, étaient visitées. Une fois cette période probatoire terminée - vous étiez alors censés pouvoir aussi identifier les équipements terrestres - il était temps de tâter une variante du "touring" d'un calibre complètement différent. Ainsi, après trois mois de missions de l'autre côté de la frontière, j'ai rendu mon laissez-passer afin qu'un autre officier de la RAF puisse en profiter. C'est une fois arrivé à ce stade, que j'allais découvrir pourquoi on m'avait dit de prendre mon équipement de vol alors qu'apparemment, je partais pour une affectation au sol avec l'Armée. Bien entendu, je savais qu'il y avait deux Chipmunk basés à RAF Gatow, mais comme tout le monde, je pensais qu'ils étaient utilisés afin de maintenir le niveau de qualification (continuation training) des pilotes affectés à cet aérodrome. C'est donc avec surprise que j'ai appris que ces avions étaient également employés par BRIXMIS pour l'opération "Schooner/Nylon" (2). Ces noms de code utilisés lors de mon affectation, désignaient l'opération débutée en 1956, qui consistait à obtenir des renseignements en photographiant depuis les airs les dizaines d'installations soviétiques et est-allemandes situées à l'intérieur de la Berlin Control Zone (BCZ). Cette dernière fut mise sur pied en 1945 afin de permettre la mise en oeuvre des deux aérodromes alliés situés dans les zones d'occupation américaine (Tempelhof au sud) et britannique (Gatow au centre), puis, à partir de 1948, dans la zone d'occupation française (Tegel au nord). La BCZ était connectée avec l'Allemagne de l'Ouest par l'intermédiaire de trois couloirs aériens. La largeur des couloirs et le rayon de la zone étaient de 20 miles terrestres (statute miles - 17,4 nms - 32 km). Cette unité de mesure non-aéronautique fut choisie par la délégation britannique qui était présente lors des discussions relatives à l'avenir de Berlin, laquelle était dirigée par le Maréchal Montgomery. Quand ce dernier fut interrogé lors des pourparlers sur la nature des miles à utiliser, il répondit de manière irritée que celles-ci devaient bien entendu être des miles britanniques.

Chipmunk BASC Ces couloirs aériens et la BCZ constituaient les seule voies d'accès aériennes vers Berlin-Ouest. Elles traversaient l'espace aérien est-allemand et en sortir était interdit sous peine de se retrouver nez à nez avec des chasseurs soviétiques. Le coeur de la BCZ était situé au centre de Berlin, dans le bâtiment qui abritait à l'origine le centre de commandement des quatre puissances occupantes, lesquelles assuraient l'administration de la ville. Cependant, les Soviétiques se retirèrent en précipitant ainsi la crise qui allait conduire au blocus de Berlin et au pont aérien entre Berlin-Ouest et l'Allemagne de l'Ouest en 1948-49. Paradoxalement, les éléments du QG soviétique assurant le contrôle du trafic aérien restèrent en place. Ainsi, le Berlin Air Safety Center (BASC) dirigé par les quatre anciens Alliés resta opérationnel jusqu'en 1990 lorsque le contrôle de l'espace aérien passa sous juridiction allemande (3). Le BASC gérait tous les mouvements aériens entrant et sortant de Berlin; le centre autorisait les vols civils et militaires parcourant les trois couloirs aériens reliant Berlin-Ouest ainsi que les quatre couloirs de ceux d'en face entrant à Berlin-Est. Les Chipmunk de Gatow volaient régulièrement afin d'assurer l'entraînement des pilotes locaux, mais, pendant cinq jours toutes les deux semaines, ces avions étaient prioritairement mis à disposition de BRIXMIS pour les vols de renseignement photographique à l'intérieur de la BCZ. Ces opérations se déroulaient sous les auspices de la RAF et incluaient non seulement le personnel de BRIXMIS, mais également les pilotes de l'aérodrome. L'Armée avait essayé de prendre une part plus active dans les opérations, mais ses responsables furent finalement convaincus que si leur personnel n'était pas habitué à voler à bord de petits appareils, ils deviendraient un sérieux handicap dans une situation d'urgence en raison de leur manque de qualifications aéronautiques. Si les vols d'entraînement n'avaient été que des circuits locaux, les Soviétiques n'auraient eu aucun mal à constater que tout vol quittant la proximité immédiate de RAF Gatow était sans doute un vol de renseignement. Aussi, l'instructeur en chef de l'aérodrome (Qualified Flying Instructor - QFI) empruntait presque quotidiennement des routes semblables à celles de BRIXMIS, tout en adoptant des procédures similaires à celles utilisées lors des vols d'"espionnage". Le QFI pilotait toujours depuis le siège arrière et transportait un passager assis à l'avant. Cela attirait parfois la même attention que celle générée par les vols de BRIXMIS, comme lorsqu'un Mi-24 soviétique a suivi de près le Chipmunk aux environs du terrain d'Oranienburg au nord de Berlin, poursuivant l'appareil quelque temps avant de le dépasser en saluant joyeusement le pilote. La couverture voulant que les Chipmunk étaient utilisés uniquement pour l'entraînement des pilotes de Gatow aurait ainsi été validée si un avion avait été obligé de se poser en territoire soviétique, alors que ce dernier était "clean", avec seulement du personnel de RAF Gatow à bord. Les Soviétiques auraient alors été bien embarrassés, eux qui étaient convaincus que chaque vol était suspect. Etant donné la nature hautement secrète de l'opération, beaucoup d'efforts étaient consentis afin de cacher le véritable but de ces vols.

Chipmunk RAF Gatow Le personnel de BRIXMIS impliqué dans les vols rejoignait Gatow à bord d'une estafette ordinaire de la RAF, car utiliser un véhicule de reconnaissance de la Mission aurait rendu la vie facile aux "observateurs" qui rôdaient souvent près de l'entrée de la base. Les patches de BRIXMIS n'étaient pas portés sur les uniformes et les appareils photo étaient cachés. Le Chipmunk était toujours parqué à l'intérieur d'un hangar lorsque l'équipage montait à bord, toujours afin d'éviter les regards indiscrets. Cette phase permettait de préparer les appareils photo et les films en toute discrétion. Quand j'ai débuté, je transportais deux appareils, l'un avec un objectif de 55 ou de 180mm et l'autre équipé d'un objectif de 500mm pour les détails. Je me suis ensuite habitué à utiliser un objectif de 1000mm, mais ce dernier ne me laissait plus guère de place dans l'habitacle avant même quand le cockpit était ouvert, car je ne pouvais pas prendre appui sur le fuselage en raison des vibrations. L'objectif était donc dehors, en plein courant d'air, ce qui ne facilitait pas le travail puisque avec un objectif d'une telle focale, tout mouvement était susceptible de se traduire par une photo floue. Son utilisation devait donc être bien ciblée. En plein hiver et en dépit de plusieurs couches de vêtements, le froid restait intense, ce qui rendait les prises de vue et particulièrement le changement des films encore plus difficiles. Il est surprenant, qu'après un vol de deux heures, les deux membres d'équipage ne souffraient pas de gelures. Une fois la visite pré-vol terminée, l'avion était poussé à l'extérieur pour être mis en route avec l'équipage déjà brêlé à bord, ce qui empêchait l'identification de ce dernier par un agent prenant des photographies au téléobjectif. Pour tous ces vols, le pilote était assis à l'arrière et le photographe à l'avant. Venait ensuite la tâche ardue et dangereuse qui consistait à voler à bord d'un avion monomoteur à l'intérieur des 3216km² de la BCZ au-dessus des installations majeures soviétiques et est-allemandes.

notes

(1) "Off-pass" : littéralement sans laissez-passer. Ce dernier était le "Propousk" permettant de franchir le pont de Glienicke lors des missions de renseignement en RDA. Roy Marsden, lorsqu'il ne volait pas au-dessus de la BCZ - ce qui ne nécessitait pas de laissez-passer et permettait ainsi à un autre membre de BRIXMIS de partir en mission au sol en profitant non pas du laissez-passer personnel de ce dernier, mais du fait qu'à tout moment BRIXMIS pouvait avoir 31 membres actifs avec laissez-passer - partait en mission de reconnaissance terrestre ou agissait en tant qu'interprète entre le Commandant de BRIXMIS et la Section des Relations Extérieures soviétique à Potsdam.
(2) L'opération fut finalement rebaptisée "Oberon."
(3) Le BASC a cessé ses opérations le 31 décembre 1990, mais il est cependant resté opérationnel par la suite à la demande des autorités allemandes qui étaient en manque de contrôleurs aériens. Toutefois, la France se retira de l'organisation.


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