Ensuite, nous allions d'abord vers le nord de la zone pour photographier les casernements et l'aérodrome d'Oranienburg, localité où
le camp de concentration nazi de Sachsenhausen était situé. Ce dernier, comme beaucoup d'autres endroits, avait été en partie préservé
par les Soviétiques pour rappeler le passé fasciste de la RDA que la population locale aurait préféré oublier. Il est intéressant de noter
que beaucoup d'officiers soviétiques pensaient sincèrement qu'ils faisaient une faveur à l'Europe en maintenant l'Allemagne divisée.
Comme nous ne tombions pas souvent sur une activité aérienne à Oranienburg, nous bifurquions souvent vers le nord-est afin d'essayer de
trouver le site de stockage est-allemand de SA-2 bien dissimulé quelque part dans la forêt de Schönwalde, entre les petites villes de
Lanke et Ladeburg (1). Je dois dire que j'ai rarement trouvé le site et je sais que d'autre officiers de BRIXMIS avaient le même
problème car ils revenaient parfois avec des récits relatifs à l'aérodrome de Finow, pourtant situé bien plus an nord-est et à une quinzaine de
kilomètres en dehors de la BCZ. Echouant souvent dans notre quête, nous pouvions par contre facilement trouver Bernau où siégeait des unités constitutives de la
20ème Armée interarmes de la garde, l'une des cinq armées constitutives du Groupe des Forces Soviétiques en Allemagne.
De Bernau, nous mettions le cap au sud vers l'aérodrome de Werneuchen à l'est de la BCZ, où des Yak-28 "Brewer" et des MiG-25 "Foxbat" étaient basés.
L'accès à cette base était pour ainsi dire impossible par voie terrestre car située à l'intérieur d'une Zone Interdite Permanente (ZIP) qui s'étendait
jusqu'à la frontière polonaise. Au mieux, nous pouvions photographier les avions pendant leur circuit d'approche visuel pour un atterrissage par vent d'est.
Mais pour cela, nous devions occuper un point d'observation qui était localisé à peu près à la jonction de deux autoroutes, le Berliner Ring et l'autoroute
de Prenzlau. Ainsi, nous ne pouvions pas y rester longtemps sans attirer l'attention de la Police du peuple (Volkspolizeï) et lorsque nous volions, nous recherchions
souvent un meilleur point d'observation pour regarder les appareils de Werneuchen du sol. Cependant, pour autant que je sache, nous n'avons jamais trouvé
d'emplacement plus approprié. Souvent, le seul recours disponible était de "ne plus être sûr de sa position" pour se retrouver à l'intérieur de la ZIP
(lire > Allons chercer ces Foxbat !). Il était important de collecter le plus d'informations possibles
sur les systèmes de reconnaissance embarqués des différentes variantes des "Foxbat" basés à Werneuchen. Ces avions, capables de voler à Mach 3 jusqu'à une
altitude de 21000 mètres, effectuaient continuellement des missions de reconnaissance le long des frontières de la RDA et sur la Mer Baltique. De plus,
nous pensions qu'ils disposaient d'une capacité secondaire de frappe nucléaire qui nous aurait posé de sérieux problèmes en cas de guerre nucléaire.
Parfois, nous avions la chance de saisir les avions sur leur ligne de vol alors qu'ils étaient préparés pour une mission de reconnaissance. D'autres
fois, l'activité était réduite et les personnels au sol nous saluaient au passage.
Ils ne semblaient pas du tout perturbés par la présence d'un appareil allié au-dessus de leur aérodrome. J'irais presque jusqu'à affirmer
qu'ils étaient contents de nous voir, du moins quand je les compare à leurs collègues de l'Armée. Je suis sûr qu'ils appréciaient
également les démonstrations de voltige de l'un de nos pilotes qui, manifestement, trouvait que faire cela au-dessus d'un aérodrome soviétique
actif en pleine guerre froide était stimulant. Werneuchen était souvent utilisé comme base de déploiement pour les
bombardiers lourds provenant d'Union Soviétique qui étaient habituellement des Tu-22 "Backfire"
de l'Aviation Navale de Flotte de la Mer Baltique. Ces bombardiers se déplaçaient occasionnellement en première ligne dans le cadre de déploiements
d'une durée de deux à trois jours avant de retourner en Union Soviétique (voir > Visiteurs lointains).
Nous avons pu obtenir à plusieurs reprises des photographies de détail
de grande qualité de ces appareils. C'était aussi une des raisons qui nous poussait à survoler Werneuchen régulièrement. Mais il y avait des risques,
notamment quand le Chipmunk se retrouvait accidentellement au milieu de "Foxbat" en circuit à proximité de leur aérodrome. Dans une telle situation, il
n'était pas possible de quitter la zone en raison de la différence de vitesse entre les deux types d'appareils. Aussi, nous nous mettions en orbite très
serrée autour d'un point de repère au sol jusqu'à ce que nous puissions dégager en toute sécurité. Les Soviétiques ne s'en sont jamais plaints; ils
semblaient seulement être ennuyés quand le Chipmunk volait trop près de l'aérodrome civil de Schönefeld, même si nous ne nous en étions pas approchés.
Les Soviétiques ont toujours prétendu, même à leurs semblables, qu'il n'y avait rien d'important dans la BCZ et attirer l'attention sur Werneuchen
aurait été admettre son importance.
Au sud de Werneuchen, on trouvait des installations appartenant à la NVA et au Gardes Frontières, dont la garnison de Gossen où avait été érigée
une réplique exacte de 400 mètres de long du Mur de Berlin. Ici, vous pouviez voir les nouvelles recrues des Gardes Frontières à l'entraînement avant
de prendre leur service le long du mur. Il était clair à l'époque que différents types de scénarios étaient joués afin que les tentatives d'évasion puissent
être contrées. Lors d'une observation, alors que nous étions dans cette zone près d'Alt Rudersdorf, nous avons découvert une grande excavation et,
comme d'habitude, nous prîmes quelques photographies car cela semblait susceptible d'être intéressant. Nous venions de découvrir accidentellement
un objectif hautement prioritaire. Les Soviétiques étaient en effet en train d'installer une grande antenne enterrée pour assurer des communications
directes avec l'Union Soviétique. Apparemment, nous avions des informations à ce propos mais personne n'avait d'idée précise quant à ce qu'il fallait surveiller,
jusqu'à ce que le Chipmunk tombe dessus par hasard. En conséquence, nous avons survolé le site toutes les cinq ou six semaines pendant 18 mois afin de suivre
l'évolution des travaux. Nous avons heureusement réussi à enregistrer chaque étape de la construction; deux ans plus tard, plus rien ne laissait présager
que quoi que ce soit s'était passé ici. Mais pour nous, le véritalbe problème avec le site enterré de Kagel, résidait dans le fait qu'il se trouvait à
quelques quinze kilomètres à l'extérieur de la BCZ. Nous aurions eu de sérieux ennuis si nos rapides escapades à l'extérieur de la Zone avaient été remarquées.
Au sud d'Alt Rudersdorf, près de Zernsdorf, se trouvait un lac de taille moyenne qui servait souvent pour l'entraînement des Soviétiques aux opérations
amphibies. Celles-ci consistaient principalement au franchissement de rivières, la construction de ponts flottants et la traversée de cours d'eau à l'aide
de sections de pontons flottants transportant chars et véhicules lourds, poussés et guidés par des bateaux conçus pour cette tâche. L'observation de ces activités
était particulièrement intéressante quand elle était mise en pratique sur le terrain sur les différents sites de franchissement, comme celui de Kehnert
près de Magdebourg [précisément au sud de Mahlwinkel]. Les équipes au sol n'étaient pas toujours en mesure d'observer toutes ces activités et nos propres observations aériennes à Zernsdorf
les aidaient à compléter le puzzle. Le point de repère suivant était la station radio de Königs Wusterhausen et ses deux grands pylônes desservant le
réseau radio est-allemand. Une troisième antenne avait été détruite lors des tempêtes de l'hiver 1972 et n'avait pas été remplacée. La ville de Mittenwalde,
au sud des antennes, ne lassait pas de m'intriguer : une usine locale produisant de l'armement naval stockait toujours du matériel en attente d'expédition à l'extérieur.
Lors de ces sorties photo, nous restions normalement bien au sud de l'aéroport est-allemand de Schönefeld. Cependant, cela créait d'autres problèmes,
surtout par mauvais temps, car il y avait peu de points de repère. Si vous vous éloigniez trop au sud, vous pouviez facilement quitter la BCZ et survoler
le Grand Quartier Général soviétique à Zossen-Wünsdorf, ce qui n'était guère recommandé. Cet ancien QG de la Wehrmacht pendant la seconde guerre mondiale
disposait d'au moins sept étages en sous-sol en plus des bâtiments en surface.