Les escrimeurs de Welzow
Un Su-24MR du 11.ORAP surpris au-dessus de la Mer Baltique. © Flygvapnet. Son nez abritait un radar à balayage latéral (SLAR) M-101 Chtik (Baïonnette) dont la résolution variait de cinq à sept mètres cinquante, permettant l'observeration d'une zone allant de 4 à 24 kilomètres de large de chaque côté de l'avion, alternativement. L'extension de la peinture blanche derrière le radôme nasal était une ruse pour masquer les larges panneaux diélectriques latéraux du radar SLAR. Un appareil photo de type AP-402M (> Lien) d'une focale de 90,5 mm à prismes rotatifs destiné aux prises de vue panoramiques était logé sous le fuselage, juste derrière le train avant. Le complexe Kadr (Cadre) comprenait un appareil photo A-100 d'une focale de 1000 mm installé en position oblique sous l'entrée d'air du réacteur gauche. Ce complexe permettait le cas échéant de larguer en vol les films exposés à l'intérieur d'une cassette équipée d'un parachute - nous n'avons toutefois pas pu vérifier le mode opératoire de cette dernière information. Le système de reconnaisssance TV Aist-M (Cigogne) (> Lien) trouvait également sa place sous le fuselage, immédiatement derrière la caméra AP-402M. Enfin, les capteurs IR du complexe Zima (Hiver) formaient un petit carénage situé en retrait sous l'entrée d'air du réacteur droit. Un ensemble de liaison de type data link assurait la transmission au sol du résultat des reconnaissances (TV, IR et laser) sous forme numérique. Pour chaque image recoltée, la position de l'avion et l'heure étaient également enregistrés. Ces images et les données pouvaient alors être exploitées en temps réel grâce au complexe mobile Posrednik (Intermédiaire) monté sur deux camions. Sur son dos, le Su-24MR portait l'habituelle grande écope dorsale ayant pour fonction d'alimenter un échangeur thermique destiné au refroidissement des systèmes embarqués. Toutefois, celle du "Fencer-E" semblait plus volumineuse en raison de son dessus bombé. La "bosse" était en fait le carénage diélectrique de l'antenne du système de transmission data link à large bande ChRK-1. En l'absence du radar d'attaque Orion-A, du système d'armes Kaïra-24 et du canon interne GCh-6-23M qui équipaient les "Fencer-D" d'attaque au sol, la version MR du Su-24 ne possédait aucune capacité offensive. Cependant, le radar de suivi de terrain Rel'yef' fut retenu. Pour assurer sa survie, cette variante bénéficiait de la suite remarquable d'autodéfense du Su-24M qui comprenait, sur les lots de production les plus aboutis, un détecteur d'alerte et de localisation radar SPO-15 Beryoza (Bouleau), un détecteur IR de missile L-082 Mak-UL (Coquelicot), un système de brouillage des radars SPS-161 Geran-F (Geranium), un complexe de contre-mesures électroniques SPS-143 et des lance-leurres APP-50A. Les "Fencer-E" étaient d'autre part câblés pour emporter, en position externe sous leur voilure, une ou deux paires de missiles air-air à courte portée R-60 ou R-60M (AA-8 "Aphid") à autodirecteur infrarouge. Les appareils du 11.ORAP ont souvent été vus avec un adaptateur APU-60-2 pour deux missiles R-60 sous l'aile gauche. Dans le cadre de leur mission et en sus de leurs équipements internes standards, les "Fencer-F" de Welzow emportaient systématiquement un ou deux conteneurs spécialisés tels que en position ventrale sous fuselage, le Konteiner n°2 qui était une nacelle ELINT SRS-14 Tangaj (Tangage) (> Lien) ou le Konteiner n°1 Chpil'-2M (Flèche) (> Lien) destiné à la reconnaissance basse altitude par moyens lasers. Les images recueillies à 400 mètres d'altitude par ce dernier système, étaient de qualité presque photographique grâce à une résolution de 25 centimètres. Ce dispositif présentant l'avantage de pouvoir être utilisé aussi bien de jour que de nuit, pouvait couvrir une bande de terrain d'une largeur égale à quatre fois l'altitude le l'avion, tandis que les données collectées étaient transmises au sol en temps réel. Fixé uniquement sous la voilure droite, le Konteiner n°3 Efir-1M (Ether) était chargé de l'enregistrement du degré de radioactivité de l'air ambiant ou du sol. Les données récoltées étaient enregistrées sur bandes magnétiques ou transmises au sol via la liaison data link. Un autre élément de la panoplie de charge des Su-24 régulièrement observé à Welzow était leurs impressionnants réservoirs pendulaires PTB-3000 de 3000 litres. Toujours présents sur les lignes de vol, où ils reposaient sur des bâtis en bois, ces énormes réservoirs profilés devaient permettre aux "Fencer" d'effectuer des vols de reconnaissance à longue distance. Les "Fencer" du 11.ORAP possédaient également une autre particularité qu'ils ne partageaient, au sein de la 16.VA, qu'avec les Su-24 du 497.BAP de Grossenhain et les Su-24M du 116.GBAP de Brand : une perche de ravitaillement en vol rétractable située juste devant le pare-brise, au centre. Cependant, contrairement aux appareils du 116.GBAP qui utilisaient des nacelles de ravitaillement en vol UPAZ-1A Sakhalin (> Lien), les Su-24MR ne pratiquaient pas le ravitaillement en vol selon la technique du "buddy-buddy" - du moins entre eux. Etant donné que ces derniers emportaient systématiquement un conteneur de reconnaissance attaché en point ventral, les "Fencer-E" ne disposaient pas des équipements nécessaires permettant d'utiliser une nacelle Sakhalin. Contre-mesuresLe troisième escadron du 11.ORAP ayant perdu ses Yak-28PP de guerre électronique en 1986, il fut reconstitué en 1989 lorsqu'il reçu la totalité des Su-24MP "Fencer-F" opérationnels, soit huit appareils. Ils furent dès lors les seules machines de ce type déployées hors du territoire de l'URSS. Le Su-24MP (MP pour Modifikatsirovaniy Postanovschik-Pomekh - Modification [pour le] Brouillage) - parfois comparé au EF-111 "Raven" américain - devait prendre la succession du Yak-28PP. Ce dernier avait été maintenu longtemps en service faute de remplaçant et ne pouvait plus prétendre assurer la protection des formations de Su-24 d'attaque. Deux Su-24M furent modifiés afin de servir de banc d'essai et le premier appareil transformé avec des équipements de guerre électronique désigné T-6MP-25 pris l'air le 14 mars 1980, soit 4 mois avant le premier prototype du Su-24MR. Outre les deux prototypes, la production du T-6MP alias "Article 46" ou Su-24MP, fut menée à Novosibirsk à partir de 1983 en parallèle avec celle du T-6MR alias "Article 48" ou Su-24MR et se limita à dix appareils. Deux d'entre eux s'envolèrent pour le centre de conversion opérationnelle de Lipetsk, tandis que les autres rejoignirent les Yak-28PP du 118.OAPREB (Otde'lniy Aviatsionniy Polk Radioelektronnoï Borb'i - Régiment autonome d'aviation de guerre électronique) à Tchortkov en RSS d'Ukraine avant de finalement être transférés à Welzow. Extérieurement, les avions de série se distinguaient principalement des autres modèles de "Fencer" par une grosse antenne de forme rectangulaire rapportée en mentonnière et par deux antennes en forme de crosse de hockey du système de déception électronique SPS-5 Fasol' (Haricot vert) greffées en arrière des entrées d'air comme cela était le cas avec le Yak-28PP. Egalement dépourvu du radar Orion-A de la version d'attaque Su-24M mais conservant le radar de suivi de terrain Rel'yef', le nez de l'avion était lui aussi peint entièrement en blanc, afin de masquer les panneaux diélectriques de forme rectangulaire des systèmes de brouillage électronique qui étaient disposés de part et d'autre et lui donner ainsi une apparence presque similaire aux "Fencer" communs. La perche de ravitaillement en vol était maintenue, mais pas la capacité d'emporter un nacelle UPAZ. En revanche, les appareils du 11.ORAP emportaient régulièrement un pod ventral qui ressemblait au conteneur Chpil'-2M des Su-24MR. Il s'agissait cependant d'un tout autre équipement. Le "Fencer-F" pouvait transporter deux types de conteneurs ventraux, simplement désignés Konteiner n°1 et Konteiner n°2 à l'instar de ceux emportés par le Su-24MR. Le premier abritait des brouilleurs de type SPS-6 Los' (Elan) et Mimoza, tandis que le second était un lance-leurres automatique Avtomat-DU destiné à brouiller les radars. L'ensemble des systèmes propres au Su-24MP formaient la suite de guerre électronique Landych (Muguet) et nécessitait des systèmes de refroidissement plus importants. Ces avions, seuls ou en formation, auraient été chargés du brouillage des système de défense et de recherche adverses afin d'ouvrir la voie aux bombardiers. On notera au passage que le second prototype a été photographié avec une charge complète de bombes de 100 kg - mais cela signifie-t-il pour autant qu'il était prévu d'utiliser le Su-24MP également en tant que bombardier ? Afin d'assurer, sa défense, le Su-24MP pouvait compter sur les différents systèmes communs aux versions M et MR déjà décrits plus haut, ainsi que sur des missiles R-60. La mystérieuse suite Landych ne répondit malheureusement pas aux attentes placées en elle, ce qui explique le faible nombre d'appareils en service.
Un Su-24MR se présente à l'atterrissage au crépuscule à Welzow. © C.Lofting. notes(1) Six avions seraient restés en ligne avec le 118.OAPREB, tandis que deux machines auraient rejoint le 4.TsBP i PLS (Tsenter Boevoy Podgotovki i Pereouchivaniya Letnogo Sostava - Centre d'entraînement au combat et de conversion du personnel navigant) à Lipetsk. Les six avions devenus ukrainiens après la dissolution de l'URSS auraient terminé leur carrière stockés au centre de révision (ARZ) de Nikolaïev.
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