Les escrimeurs de Welzow
C'est très précisément le 17 février 1986 que les premiers Su-24MR "Fencer-E" du 11.ORAP effectuaient leurs sorties opérationnelles initiales à partir de leur base
brandebourgeoise. Les nouveaux vecteurs de reconnaissance du régiment devaient cotoyer encore pendant quelques semaines les Yak-28R qu'ils allaient remplacer,
ces derniers quittant définitivement Welzow le 2 juillet 1986. Ne restait plus alors que deux escadrons entièrement équipés de Su-24MR.
Le Su-24MR (MR pour Modifikatsirovaniy Razvedtchik) était un appareil de reconnaissance conventionnel si ce n'était sa taille qui lui permettait
d'emporter le complexe de reconnaissance embarqué BKR-1 (Bortovim Kompleksom Razvedki) qui comprenait
un vaste échantillonnage de moyens de reconnaissance classiques, infrarouges et électroniques, le rendant autrement plus performant que ses prédécesseurs MiG-21R, Yak-28R et Su-17M3R et -M4R.
En service en RDA aux côtés des Su-17M3R du 294.ORAP, il remplissait un rôle de reconnaissance dit opérationnel, tandis que les précédents opéraient sur le plan tactique. Le complexe Kadr (Cadre) comprenait un appareil photo de type AP-402P puis AP-402M (> Lien) d'une focale de 90,5 mm à prismes rotatifs destiné aux prises de vue panoramiques logé sous le fuselage, juste derrière le train avant, là où était installé le système Kaïra-24 sur le Su-24M. Le cas échéant, les photos casées dans une cassette équipée d'un parachute pouvaient être larguées en vol. Faute d'information ou d'évidence lors de l'examen de photographies détaillées, nous supposons que la trappe de largage était cachée dans le logement des aérofreins qu'il aurait alors fallu déployer afin de pouvoir se séparer des cassettes. Un second appareil photo complétait le système Kadr. Il s'agissait d'un boîtier A-100 d'une focale de 1000 mm installé en position oblique sous l'entrée d'air du réacteur gauche. Le système de reconnaisssance TV Aist-M (Cigogne) trouvait également sa place sous le fuselage, immédiatement derrière la caméra AP-402M. Enfin, les capteurs IR du complexe Zima (Hiver) formaient un petit carénage situé en retrait sous l'entrée d'air du réacteur droit. Un ensemble de liaison de type data link assurait la transmission au sol du résultat des reconnaissances (TV, IR et laser) sous forme numérique. Pour chaque image recoltée, la position de l'avion et l'heure étaient également enregistrés. Ces images et les données pouvaient alors être exploitées en temps réel grâce au complexe mobile Posrednik (Intermédiaire) monté sur deux camions. Sur son dos, le Su-24MR portait l'habituelle grande écope dorsale ayant pour fonction d'alimenter un échangeur thermique destiné au refroidissement des systèmes embarqués. Toutefois, celle du "Fencer-E" semblait plus volumineuse en raison de son dessus bombé. La "bosse" était en fait le carénage diélectrique de l'antenne du système de transmission data link à large bande ChRK-1. En l'absence du radar d'attaque Orion-A, du système d'armes Kaïra-24 et du canon interne GCh-6-23M qui équipaient les "Fencer-D" d'attaque au sol, la version MR du Su-24 ne possédait aucune capacité offensive. Pour assurer sa survie, cette variante bénéficiait de la suite remarquable d'autodéfense BKO-2M Karpaty du Su-24M qui comprenait, sur les lots de production les plus aboutis, un détecteur d'alerte et de localisation radar SPO-15M Beryoza (Bouleau), un détecteur IR de tir missile L082 Mak-UL (Coquelicot), un système de brouillage des radars SPS-161/162 Geran-F (Geranium) et des lance-leurres APP-50A, l'ensemble étant géré par un ordinateur digital Neon-F. Les "Fencer-E" étaient d'autre part câblés pour emporter, en position externe sous leur voilure, une ou deux paires de missiles air-air à courte portée R-60 ou R-60M (AA-8 "Aphid") à autodirecteur infrarouge. Les appareils du 11.ORAP ont souvent été vus avec un adaptateur APU-60-2 pour deux missiles R-60 sous l'aile gauche. Le radar de suivi de terrain Rel'yef' était quant à lui toujours monté dans le radôme, conférent au "Fencer-F" des capacités de pénétration à basse altitude. Dans le cadre de leur mission et en sus de leurs équipements internes standards, les "Fencer-F" de Welzow emportaient systématiquement un ou deux conteneurs spécialisés. Le Konteiner n°1 Chpil'-2M (Flèche) (> Lien), destiné à la reconnaissance basse altitude par laser, était monté en position ventrale avant sous fuselage. Les images recueillies à 400 mètres d'altitude par ce dernier système, étaient de qualité presque photographique grâce à une résolution de 25 centimètres. Ce dispositif présentant l'avantage de pouvoir être utilisé aussi bien de jour que de nuit, pouvait couvrir une bande de terrain d'une largeur égale à quatre fois l'altitude le l'avion, tandis que les données collectées étaient transmises au sol en temps réel. Le Konteiner n°2 qui était une nacelle SIGINT SRS-14 Tangaj (Tangage) (> Lien) se fixait quant à lui en positon ventrale arrière. Sa fonction consistait à capter et déterminer la localisation des radars ainsi que leur mode opératoire. Attaché uniquement sous la voilure droite, le Konteiner n°3 M-341 Efir-1M (Ether) était chargé de l'enregistrement du degré de radioactivité de l'air ambiant ou du sol. Les données récoltées étaient enregistrées sur bandes magnétiques ou transmises au sol via la liaison data link. Un autre élément de la panoplie de charge des Su-24 régulièrement observé à Welzow était leurs impressionnants réservoirs pendulaires PTB-3000 de 3000 litres. Toujours présents sur les lignes de vol, où ils reposaient souvent sur des bâtis en bois, ces énormes réservoirs profilés devaient permettre aux "Fencer" d'effectuer des vols de reconnaissance à longue distance, jusqu'à 400 km au-delà de la ligne de front. Les "Fencer" du 11.ORAP possédaient également une autre particularité qu'ils ne partageaient, au sein de la 16.VA, qu'avec les Su-24 du 497.BAP de Grossenhain et les Su-24M du 116.GBAP de Brand : une perche de ravitaillement en vol rétractable située juste devant le pare-brise, au centre. Cependant, contrairement aux appareils du 116.GBAP qui utilisaient des nacelles de ravitaillement en vol UPAZ-1A Sakhalin (> Lien), les Su-24MR ne pratiquaient pas le ravitaillement en vol selon la technique du "buddy-buddy" - du moins entre eux. Etant donné que ces derniers emportaient systématiquement un conteneur de reconnaissance attaché en point ventral, les "Fencer-E" ne disposaient pas des équipements nécessaires permettant d'utiliser une nacelle Sakhalin.
Contre-mesuresLe troisième escadron du 11.ORAP a perdu ses Yak-28PP de guerre électronique en 1986 lorsqu'ils furent transférés au second escadron du 931.OGRAP. Cependant, le 3.AE fut reconstitué en 1989 lorsqu'il reçu la totalité des Su-24MP "Fencer-F" opérationnels, soit huit appareils. Ils furent dès lors les seules machines de ce type déployées hors du territoire de l'URSS. Le Su-24MP (MP pour Modifikatsirovaniy Postanovschik-Pomekh - Modification [pour le] Brouillage) - parfois comparé au EF-111 "Raven" américain - devait prendre la succession du Yak-28PP. Ce dernier avait été maintenu longtemps en service faute de remplaçant et ne pouvait plus prétendre assurer la protection des formations de Su-24 d'attaque. Deux Su-24M furent modifiés afin de servir de banc d'essai et le premier appareil transformé avec des équipements de guerre électronique désigné T-6MP-25 pris l'air le 14 mars 1980, soit 4 mois avant le premier prototype du Su-24MR. Outre les deux prototypes, la production du T-6MP alias "Article 46" ou Su-24MP, fut menée à Novosibirsk à partir de 1983 en parallèle avec celle du T-6MR alias "Article 48" ou Su-24MR et se limita à dix appareils. Deux d'entre eux s'envolèrent pour le centre de conversion opérationnelle de Lipetsk, tandis que les autres rejoignirent les Yak-28PP du 118.OAPREB (Otde'lniy Aviatsionniy Polk Radioelektronnoï Borb'i - Régiment autonome d'aviation de guerre électronique) à Tchortkov en RSS d'Ukraine avant de finalement être transférés à Welzow. Extérieurement, les avions de série se distinguaient principalement des autres modèles de "Fencer" par une grosse antenne de forme rectangulaire rapportée en mentonnière et par deux antennes en forme de crosse de hockey du système de déception électronique SPS-5 Fasol' (Haricot vert) greffées en arrière des entrées d'air comme cela était le cas avec le Yak-28PP. Les différents systèmes de contre-mesures électroniques embarqués formaient le suite Landych (Muguet). Egalement dépourvu du radar Orion-A de la version d'attaque Su-24M, le nez de l'avion était lui aussi peint entièrement en blanc, afin de masquer les panneaux diélectriques de forme rectangulaire des systèmes de brouillage électronique qui étaient disposés de part et d'autre et lui donner ainsi une apparence presque similaire aux "Fencer" communs. Le radar de suivi de terrain Rel'yef' était bien ebtendu toujours monté dans le radôme. La perche de ravitaillement en vol était maintenue, mais pas la capacité d'emporter une nacelle UPAZ. En revanche, les appareils du 11.ORAP emportaient régulièrement un pod ventral qui ressemblait au conteneur Chpil'-2M des Su-24MR. Il s'agissait cependant d'un tout autre équipement. Le "Fencer-F" pouvait transporter deux types de conteneurs ventraux, simplement désignés Konteiner n°1 et Konteiner n°2 à l'instar de ceux emportés par le Su-24MR. Le premier abritait des brouilleurs de type SPS-6 Los' (Elan) et Mimoza, tandis que le second était un lance-leurres automatique Avtomat-DU destiné à brouiller les radars. L'ensemble des systèmes propres au Su-24MP formaient la suite de guerre électronique Landych (Muguet) et nécessitait des systèmes de refroidissement plus importants. Ces avions, seuls ou en formation, auraient été chargés du brouillage des système de défense et de recherche adverses afin d'ouvrir la voie aux bombardiers. On notera au passage que le second prototype (T-6MP-35) a été photographié avec une charge complète de bombes de 100 kg - mais cela signifie-t-il pour autant qu'il était prévu d'utiliser le Su-24MP également en tant que bombardier ? Afin d'assurer, sa défense, le Su-24MP pouvait compter sur les différents systèmes communs aux versions M et MR déjà décrits plus haut, ainsi que sur des missiles R-60. Les 5 et 7 juin 1991, les huit Su-24MP "Fencer-F" du 11.ORAP délaissaient leur base allemande pour retrouver le 118.OAPREB à Tchortkov - alors équipé de Yak-28PP dont certains originaires de Welzow, rapatriés depuis Werneuchen en 1989 (1). Quelques jours plus tôt, précisément le 21 mai, les 16 derniers MiG-25 de reconnaissance du 931.OGRAP avaient rejoint Welzow où ils formèrent très certainement le troisième escadron du 11.ORAP. Ces ultimes "Foxbat" de la 16.VA quittèrent l'Allemagne les premier et six juillet 1992 pour Chatalovo. Un an plus tard, le 15 juin 1993, les deux derniers escadrons du 11.ORAP déménageaient leurs vingt-quatre Su-24MR pour Marinovka à l'ouest de Volgograd (l'ancienne Stalingrad) dans le District militaire russe du Nord-Caucase où, quelques mois plus tard et par un de ces détours qu'affectionne tant l'histoire, ils furent subordonnés aux côtés du 296.BAP (ex-296.APIB de Grossenhain) à la nouvelle 4.VA russe de Rostov-sur-le-Don. Dans le cadre de la réorganisation des VVS en 2009, l'ancien 11.ORAP toujours stationné à Marinovka est devenu une composante de la Base Aérienne n°6970, aux côtés de deux escadrons de Su-24M de l'ancien 559.BAP (ex-559.APIB de Finsterwalde) basés à Morozovsk. Un an plus tard, ses avions formant un escadron d'aviation de reconnaissance se voyaient intégrés à la 6972è Base Aérienne de la garde. En décembre 2015, le 11è Régiment composite d'aviation (SAP) voyait le jour avec un escadron de Su-24M redéployés depuis Morozovsk et un escadron de reconnaissance. notes
(1)
Six avions seraient restés en ligne avec le 118.OAPREB, tandis que deux machines auraient rejoint le 4.TsBP i PLS (Tsenter Boevoy Podgotovki
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