Des bombardiers, souvent issus de la 46.VA de Smolensk (1), rejoignaient la RDA assez régulièrement dans le cadre
d'exercices de navigation à longue distance. Ils approchaient par paires de l'espace aérien est-allemand en venant du nord, le long de la côte de la Mer Baltique
en passant successivement sous le contrôle aérien de Gdansk, Kolobrzeg et Damgarten. L'altitude de vol se situait à 9450 ou 10500 mètres.
Trois scénarios étaient alors possibles:
- demi-tour et retour vers l'est
- descente vers le sud aux ordres de Wittstock, virage à l'est sous le contrôle successif de Werneuchen, Poznan, Varsovie...
(ou inversément remontée vers le nord)
- descente vers le sud aux ordres de Wittstock, Zerbst, Altenburg, Milovice (CSSR) et cap à l'est (ou inversément remontée vers le nord)
Lors de ces deux derniers itinéraires, les bombardiers suivaient parfois une trajectoire en dents de scie, absolument incompréhensible au premier abord.
Pourtant, lorsque l'on tirait une droite au niveau du point de virage, on trouvait immanquablement des stations radar de l'OTAN
(2) implantées sur
le territoire ouest-allemand. Tandis qu'un appareil était susceptible de tirer un missile anti-radar, le second assurait la protection électronique du raid. Le but
était d'aveugler les défenses de l'OTAN et de créer ainsi de véritables couloirs de pénétration (3).
Mais peut-être s'agissait-il simplement de faire passer les radars du mode "standby" au mode recherche afin de recueillir leurs caractéristiques
(voir > "Blinder sur Berlin"). D'autre part, des centres industriels étaient également ciblés lors de ces trajectoires particulières.
Des survols - avec descente à 300 m - pouvaient intervenir au-dessus du polygone de tir situé à Wittstock, mais pas nécessairement en effectuant un lâcher de bombes.
Le Colonel de la Garde Valeri Tamarovski, commandant du 20.GvAPIB à Gross Dölln entre 1989 et le début de 1993, mentionnait dans une correspondance que des Tu-22[M] visitaient
régulièrement Gross Dölln à l'occasion d'exercices de navigation. Les appareils restaient quatre à six heures sur place ou y passaient la nuit - s'agit-il d'une allusion relative à
l'épisode relaté dans "Blinder sur Berlin" ? - avant de repartir.
Certaines missions visaient à tester l'état d'alerte des forces du pacte de Varsovie. Un ancien membre d'équipage de la 57ème Division d'aviation de missiles maritimes
(Morskaya Raketnaya Aviatsionnaya Divisiya - MRAD) stationnée à Bykhov au Belarus, décrit de la manière suivante l'une de ses missions : « Il y avait beaucoup de vols
réalisés afin de tester le niveau de préparation de la PVO. Nous volions sur Tu-16 (puis Tu-22) et nous sondions aussi l'état d'alerte des forces de défense aérienne du pacte de Varsovie.
Un dimanche au soir, nous avons mis le cap au sud dans un ciel sans nuages. Silence radio et IFF déconnecté. Par précaution, la radio était branchée sur le canal 1 [124.000 MHz -
canal commun du pacte de Varsovie pour le trafic aérien militaire] et le canal 3 [130.750 MHz - canal commun du pacte de Varsovie pour l'entraînement] afin de pouvoir communiquer avec la chasse
le cas échéant. Nous avons survolé la Roumanie, Bucarest, la Bulgarie (Sofia, indicatif "Vrajdebniy" - Tolboukhine "Omega" - Graf Ignatievo "Blokada"),
nous sommes passés près de Budapest, puis Prague, pour nous diriger finalement vers Berlin (indicatif du poste de commandement de la 16.VA "Aldan"), Damgarten ("Melodrama") et enfin
Varsovie, Kaliningrad et Bykhov où nous avons atterri à cinq heures du matin. Bilan : Roumanie, silence; Bulgarie, silence; les Tchécoslovaques ont demandé le décollage d'un QRA mais nous avons traversé
leur espace aérien depuis le sud en huit minutes et ils n'ont pas eu le temps de décoller; les Allemands... Ordres concis, décollage sur alerte et guidage précis, mais ils ne nous ont pas
intercepté, nous étions déjà en Pologne. Quand nous sommes arrivés à Mamonovo (Kaliningrad), quatre à six intercepteurs de la PVO nous attendaient à notre altitude. Manifestement, l'oncle
Sacha avait téléphoné à l'oncle Vanya pour communiquer notre heure d'arrivée estimée. »
Un été en Pologne...
Fin mai ou début juin 1980, je préparais mes examens universitaires. Un bel après-midi chaud et ensoleillé, j'étais assis dans ma chambre avec un livre de droit dans les mains,
quand soudain j'entendis le bruit de réacteurs. A cette époque, voir des jets voler à basse altitude n'avait rien d'inhabituel, même au-dessus des grandes villes et j'aimais
regarder ce qui se passait. Mon attention fut davantage attirée quand le bruit se rapprocha. Il était bien plus fort que celui qu'aurait fait un "Fishbed" solitaire en patrouille.
Je suis sorti sur mon balcon qui fait face à l'est. J'ai vu beaucoup d'autres personnes qui criaient et gesticulaient depuis le balcon de leur appartement, pointant les bras vers
l'ouest. Soudain, j'eu une vision à peine croyable : trois silhouettes de Tu-16 "Badger" dans une formation delta parfaite, à peine plus haut que 1000 mètres au-dessus de ma tête.
Ils se dirigeaient vers l'est, lentement et majestueusement. Peu après, deux autres appareils surgirent derrière. Ils volaient avec tous leurs feux allumés, très près l'un de l'autre
et je pouvais voir qu'ils étaient reliés ensemble par un tuyau ! "Ravitaillement en vol !!!" criais-je excité comme un gamin. Nombre de mes voisins sachant que j'étais passionné
d'aviation, certains me demandérent : "Que se passe-t-il ? Est-ce la guerre ?". Non, répondis-je, simplement un groupe de bombardiers stratégiques russes qui rentrent d'un exercice
en Allemagne de l'Est. Je leur dis d'apprécier le spectacle comme une démonstation aérienne gratuite et de ne pas avoir peur. Oui, je sais que ma ville natale de Torun est située un peu au
nord de la traditionnelle "autoroute Berlin-Moscou", mais que représente cette distance pour des bombardiers lourds ? Juste quelques minutes de vol ! Je pourrais répéter cette histoire
solennellement devant un tribunal si un jour on me le demandait.
Milosz Rusiecki. - L'aérodrome ainsi que le pays d'où sont partis ces Tu-16 restent incertains -
> Août 1960 : Tu-16 à Werneuchen
> Juin & août 1961 : Tu-16 à Werneuchen
> Avril 1963 : Tu-16 à Oranienburg
> Août 1965 : deux Tu-16 observés décollant de Grossenhain
> Juillet 1969 : observation de groupes composés de trois Tu-16 larguant des paillettes en aluminium (chaffs) dans la région de Finow.
27 Tu-16 au total ont participé à cette activité - appareils basés à Finow. Les machines larguant des chaffs étaient manifestement des
Tu-16 Yelka
> 6 juillet 1972 : bombardement du champ de tir de Wittstock la nuit par des Tu-16 du 132.TBAP venant directement d'URSS
> Août 1974 : Tu-16 de la Flotte de la Mer Baltique (Bychov) à Werneuchen
> Juillet 1975 : Tu-16 de la Flotte de la Mer Baltique (Bychov) à Oranienburg
Tu-16 de la Flotte de la Mer Baltique (Ostrov) à Werneuchen
> 1976 : Tu-16 de la Flotte de la Mer Baltique à Oranienburg
> Juillet 1978 : cinq Tu-16 de la Flotte de la Mer Baltique observés à Werneuchen
> 1979 : déploiement annuel de Tu-16
> Mai 1980 : Tu-16 à Oranienburg (quatre Tu-16P "Badger-J" et un Tu- 16 "Badger-A" identifiés)
> Juillet 1983 : premier déploiement de Tu-22M2 "Backfire-B" hors de l'URSS à Gross Dölln
> Juin 1984 : atterrissage de Tu-22K "Blinder-B" du 121.GvTBAP à Gross Dölln et Falkenberg lors des manoeuvres Zapad 84
Tu-16 à Finow
> 1985 : déploiement d'une division de bombardiers Tu-16 et Tu-22M. à Werneuchen (juin), Brand et Gross Dölln
> 1987 : Tu-22M3 "Backfire-C" à Falkenberg
> Mars et août 1988 : Tu-22M2 "Backfire-B" à Falkenberg
A-50 "Mainstay" à Falkenberg en mars (vu en circuit au-dessus des champs de tir de Retzow et Wittstock)
> Avril 1990 : dernier déploiement de bombardiers lourds en RDA à Falkenberg (huit Tu-22M3)
(1) Au début des années 80, la 46.VA comprenait les unités aériennes suivantes :
- 199.GvOGDRAP : Tu-22R
- 290.ODRAP : Tu-22R
- 226.OAP REB : Tu-16P
- 13/15/22/326.TBAD : Tu-16/Tu-22/Tu-22M2
Voir la page "Blinder sur Berlin" (2) Chaîne NADGE : NATO Air Defence Ground Environment (3) Témoignage d'un opérateur-intercepteur radio de Tegel (4) Trois autres bases aériennes situées dans les pays du pacte de Varsovie furent également aménagées comme bases avancées pour
bombardiers lourds : Powidz en Pologne, Mosnov
en Tchécoslovaquie et Mezökövesd-Klementina en Hongrie (d'après "Rote Plätze" par
L.Freundt & S.Büttner - AeroLit). (5) BRIXMIS - MMFL - USMLM - EES 32/351 - V.Kabanov - "Rote Plätze"