Après plusieurs détours, notre petit convoi s’arrête face à un bloc d’état-major devant lequel nous garons les véhicules. Le Kommandeur vérifie que les portes de notre voiture sont bien fermées. On n’est jamais trop prudent avec les étrangers. Dans le hall du bâtiment, une grande carte murale en relief barrée d’une épaisse bande rouge indique, de la Russie à la R.D.A. en passant par l’Afghanistan, les mutations successives du 368.OChAP depuis sa création. Sous bonne escorte nous rejoignons un bureau où comme dans un film de série B nous déclinons nos identités, noms, prénoms, adresses, âges et professions. La transcription en alphabet cyrillique des lettres latines de nos cartes d’identité crée problème pour nos hôtes...
Enfin nous sommes libres, nous n’osons y croire. Nous nous regardons et embarquons dans la voiture, soulagés, mais toutefois légèrement traumatisés par les quelques heures que nous venons de vivre. Une fois sortis de la base, à la recherche d’un hôtel pour la nuit, nous réalisons enfin : nous avons été fait prisonniers par l’ex-Armée Soviétique. Et avec tout cela, nous n’avons même pas pu correctement photographier les “Frogfoot”. Mais c’est juré, nous nous vengerons. Chose faite le 15 juin 1993, lorsque nous franchirons, à la barbe et au nez des dernières sentinelles russes encore présentes, les barbelés de la base pour immortaliser le départ pour Gross Dölln des Su-25 de Tutow à la veille de leur départ pour la C.E.I. Récit d’une aventure vécue, une anecdote parmi d’autres - nombreuses - vécues ou glanées au cours de nos périples autour des bases aériennes russes de l’ex-R.D.A.
Désertées ou non, les bases russes en Allemagne présentaient parfois des limites très floues avec comme conséquence des contrôles, des arrestations - comme celle relatée ci-dessus - et même parfois en de rares occasions des invites à visiter les installations. Les exemples de ces contacts abondent. Parfois dramatiques, comme la blessure par balle encourue en avril 1991 par un militaire allemand qui tentait de photographier de trop près un ancien site de stockage pour armes nucléaires à Altengrabow, ou plus sympathiques, comme le cas de ces deux aérophiles français (ils se reconnaîtront sûrement) tout simplement invités par le personnel de la base de Welzow à venir admirer de plus près les Soukhoï Su-24MR “Fencer-E” - malheureusement pour eux, sans autorisation de les photographier. Mais il est vrai qu’après avoir longtemps été un aérodrome à la sécurité tâtillonne, Welzow était progressivement devenu, après 1991 et le départ de ses Su-24MP “Fencer-F”, un véritable moulin. Seule base de “Fencer” puis également de MiG-25 “Foxbat” en Allemagne, elle attirait un nombre d’aérophiles important pour qui les limites grillagées de cette plate-forme de Basse-Lusace devinrent très vite symboliques, ceux-ci les traversant sans vergogne à seule fin de photographier les appareils qu’elle hébergeait; le tout sans jamais ou presque provoquer de réaction de la part des militaires russes - qui soit dit en passant, réalisaient parfaitement quelle était la situation. Une situation, on en conviendra, assez particulière. Imaginez-vous pénétrant par le grillage le périmètre d’un aérodrome militaire de l’OTAN pour y faire des photos des appareils qui y sont basés. Nul doute que vous seriez arrêté sur le champ et de la manière la plus énergique qui soit, sans compter les probables poursuites judiciaires dont vous seriez ensuite l’objet. Enfin, soit. De ces diverses expériences un constat global s’impose et mérite d’être énoncé. Loin d’être les personnages rustres, cupides ou idéologiquement bornés tels qu’encore trop souvent présentés par une certaine filmographie hollywoodienne débilitante, la plupart des soldats et officiers russes rencontrés étaient des gens ouverts, curieux et prêts à discuter malgré la puissante barrière que constituait les différences de langue et de culture politique, économique et sociale.
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