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EE54 EE54 Jean-Marie Sirougnet a effectué 75 missions de guerre électronique en tant qu'intercepteur radio à bord des Nord 2501 « Gabriel » de l'Escadron Electronique 54 « Dunkerque » basé à Metz-Frescaty. Il nous relate ici une mission mouvementée qui s'est déroulée en décembre 1981.

Le déclenchement d’une mission aérienne de guerre électronique était fonction de deux facteurs : la mission dite régulière ou de routine au moins une fois par semaine, ou particulière et bien définie en fonction de l’activité « d’en face » - les forces du pacte de Varsovie - ou en prévision de celle-ci.

Le Nord 2501 Noratlas « Gabriel »

EE54 Pour ces missions, nous utilisions le Nord 2501 « Gabriel », un Noratlas particulièrement transformé et modifié qui, hormis le numéro de série, était dépourvu d'immatriculation apparente. A l’intérieur, outre l’équipage « avant », l’équipe « arrière » était composée de deux radaristes chargés de la recherche de radars, de cinq linguistes (russes, allemands, ou tchèques suivant la mission), d’un analyste et d’un radio connaissant la navigation aérienne. Ce dernier était chargé de noter l’indicatif et la fréquence de toutes les nouvelles balises de navigation, d’approche de terrain ou d’entrée de piste pouvant désigner un nouvel aérodrome ou une zone de manœuvre. De plus, il relevait l’azimut des balises par rapport à l'avion à l'aide du radiocompas. Un chef d’équipe ayant une connaissance approfondie de l'adversaire potentiel, dirigeait ces « guerriers des ondes ». Il était chargé de faire une synthèse de la mission « secret défense » à son retour.

Mission 5489

Gabriel Décembre 1981. Je sais depuis quelques jours que je fais partie de la mission N°5489 du 21 décembre. 09H00 en salle de briefing - l’équipe « arrière » déjà en combinaison de vol écoute attentivement son chef définir les objectifs et le déroulement de la mission : décollage vers 13 heures, couloir aérien Sud pour rejoindre Berlin, nuit à Berlin, décollage le lendemain après le repas de midi direction la Mer Baltique via le couloir aérien Nord, demi-tour et retour sur Metz; la mission est dite « baltique » du fait de sa configuration. Suivent quelques mots sur la météo qui n’ést pas géniale : un front froid est annoncé sur le Nord de l’Allemagne pour les prochaines 48 heures. En cette période de l’année, cela signifie neige au sol et givrage en altitude. A surveiller ! Il est temps de prendre la direction du tarmac et du Noratlas N°42, déjà entouré des mécanos sol et de l’équipage « avant ». Une fois à l’intérieur, il faut chercher son sac-paquetage qui contient un parachute et son harnais que l’on enfile avec le secret espoir de ne pas avoir à y accrocher le parachute ventral qui nous permettrait de quitter l’appareil en cas de grave problème. A cette époque de l’année, le Noratlas est un vrai frigo et tant que les moteurs n'ont pas démarré, on est plutôt gelés malgré le blouson de vol relevé jusqu’aux oreilles.

Départ en mission

On apprécie l’instant du point fixe car la température commençe à monter et même si cela secoue pas mal derrière, c’est déjà plus agréable : moteur droit à fond, mise en drapeau, on réduit, moteur gauche à fond, mise en drapeau, on réduit et enfin les deux à fond, vas-y que je te secoue encore un peu ! C’est la grise (1) ! Alignement… 2800 tours à fond les manettes, on est parti ! Quelques minutes plus tard, lors de la montée à l’altitude de croisière cap au Nord vers le Luxembourg, le chef d’équipe mettra en route la turbine alimentant les récepteurs. Les opérateurs pourront alors vérifier le bon fonctionnement de leur appareil VHF, UHF, MF et scope (2); c’est à ce moment-là qu’au cours d’une précédente mission, j’avais eu la désagréable surprise de voir le fusible de mon récepteur radio passer de vie à trépas. Bien que ne disposant pas de rechange à bord, il n'était pas question de faire demi-tour pour un fusible HS. Résultat, une mission faite en tant que simple passager, à compter les moutons ! Un vrai gâchis ! Une fois passé le Luxembourg, nous mettons le cap au 90° vers l’Est.

Dans le couloir Sud

couloirs Les voies d'accès aériennes, terrestres et maritimes vers Berlin-Ouest.

Air, land and sea acces pathways to West Berlin.
Avant l’entrée dans le couloir Sud vers Berlin, les premières interceptions de communications de chasseurs soviétiques et est-allemands sont captées, enregistrées et traduites au même instant. Passé Fulda, changement de cap; nous approchons du couloir et dans une dizaine de minutes, le rideau de fer sera franchi à une altitude d’environ 2500 mètres, parfois bien plus bas si une mission photo est prescrite. Chaque opérateur sait maintenant qu’il est au cœur du dispositif et qu’il doit intercepter le maximum de communications. Le radio que je suis doit vérifier les balises connues, qu'elles soient actives ou inactives et chercher les nouvelles. Le bruit des moteurs est tel qu’il faut souvent pousser le volume de la réception afin de pouvoir décoder la faible émission d’une balise inconnue installée pour un terrain de manœuvre, ou encore une portion d’autoroute activée en terrain d’atterrissage et de décollage. Après quelques heures de ce régime auditif, on est atteint d’acouphènes qui sont longs à se dissiper.

Berlin-Tegel

Tegel Tegel La descente sur Berlin-Tegel ne perturbe pas les opérateurs, bien au contraire; il arrive très souvent qu’au roulage jusqu’au parking, ils ont encore le casque sur les oreilles et ne lâchent plus le pilote Soviétique ou Est-Allemand dans son dialogue avec le sol. Seul l’arrêt de la turbine par le chef d’équipe y mettra fin par manque de courant. La soirée se passe différemment selon les occasions : parties de tarot fort tard dans la nuit, Berlin by night ou encore un passage au « Münchner », taverne berlinoise bien connue où la bière coule à flots dans des bocks de un litre. 22 Décembre 1981 : en début d’après-midi, nous voilà de nouveau dans le Noratlas, toujours aussi froid avant la mise en route. Je suis le seul à mettre mon casque sur les oreilles car j’attends le top horaire du radio-navigateur afin d’avoir des relevés exacts au radiocompas.

Mission sur le Nord de l’Allemagne

C’est par le couloir Nord que nous survolons l’Allemagne de l’Est; une fois sortis du territoire, virage à droite et cap plein Nord, direction la Mer Baltique. Ca vole pas mal « en face » : les linguistes, le nez sur leur procès–verbal d’écoute classé « secret défense », n’ont pas le temps de discuter avec le voisin. La météo se dégrade au Nord de l’Allemagne, le régime des moteurs augmente et je sens que nous prenons de l'altitude. Au bout de trois heures de vol, je pose mon casque pour un petit moment de repos; mes oreilles sont saturées de signaux et je prends quelques inspirations dans le masque à oxygène. Je jette alors un oeil interrogateur sur mon voisin qui remplit des pages et des pages d’interception de dialogues de pilotes soviétiques, lui ne peut lâcher « l’ami Yvanovitch » ! Il me regarde désabusé : « Chacun son truc mon vieux ! » Nous mettons le cap à 70°. Quelques minutes plus tard, il me semble entendre un bruit sourd; j’écoute attentivement, mais plus rien. Puis, de nouveau, deux coups plus forts. Je suis certain cette fois et tous les opérateurs l’ont entendu. On nous tire dessus ? Je me tourne vers le collègue à ma gauche, et lui crie dans l’oreille : « C’est quoi ? » « Glace ! », me répond-t-il. Je comprends ce qui se passe : la glace en se détachant du bord d’attaque de l’aile vient frapper la carlingue avec violence, ce qui signifie que nous sommes en conditions de givrage. Connaissant les conséquences que cela peut avoir sur l’avion, surplus de poids et blocage des commandes, je suis quelque peu inquiet.

notes

(1) Surnom donné au Noratlas.
(2) Récepteur analyseur de spectre et de signaux radar principalement axé sur l'interception des batteries sol-air et dans une moindre mesure de tout autre radar de surveillance aérienne (temps de rotation - force et caractéristique des impulsions - azimut, etc.)

Mission 5489  > Part 2

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