Si les Tu-22 "Blinder" ont été beaucoup moins souvent observés en RDA que les Tu-16 et les Tu-22M2 - et dans une moindre mesure les Tu-22M3 - c'est sans doute parce qu'ils s'y posaient plus rarement. Ils n'en étaient pourtant pas moins présents dans les cieux est-allemands. Ainsi en était-il des Tu-22R "Blinder-C" (1) de reconnaissance. Les vols de renseignement au-dessus de la Mer Baltique impliquaient le suivi d'un itinéraire assez complexe qui permettait de couvrir d'autres objectifs. Ces appareils survolaient en effet successivement la Pologne, la Tchécoslovaquie et enfin la RDA. Les "Blinder" remontaient le long de la frontière interallemande avant d'atteindre finalement la Mer Baltique (2) où ils faisaient généralement l'objet d'interceptions par des SAAB Draken ou Viggen suédois. Lorsque ces derniers accompagnaient les Tu-22 un peu trop longtemps, les équipages soviétiques faisaient appel aux chasseur du 871.IAP de Kolobrzeg basés au bord de la Baltique, en Pologne. Les suédois écoutant plus que probablement les communications soviétiques, cet appel à l'aide lancé sur les ondes pouvait s'avérer suffisant pour éloigner les intercepteurs. Les vols de type ELINT le long des frontières entre le pacte de Varsovie et l'OTAN - appelés de manière sibylline "tâches spéciales" (Spetszadaniya) - se déroulaient au moins une fois par mois. Leur but était classique : trouver les radars adverses et déterminer leurs paramètres de fonctionnement ainsi que leurs performances. Le 290ème régiment autonome d'aviation de reconnaissance à longue distance (ODRAP) de Zyabrovka (Gomel) traitait le nord et le nord-ouest de l'Europe, tandis que le 199.OGvDRAP de Nejin en Ukraine s'occupait de la région sud. Ces deux unités étaient attachées à la 46.VA de Smolensk. Le radar de navigation Roubin-1L (Rubis) était parfois allumé afin de diriger en mode manuel son faisceau vers des objectifs potentiels dans le but de provoquer le passage des radars concernés du mode "standby" au mode actif et ainsi pouvoir analyser leurs signaux. Plus inattendu, les Tu-22R étaient aussi utilisés afin de tester l'état d'alerte de la défence aérienne de l'URSS (PVO) autour de Moscou et des centres industriels et administratifs. Ces vols particuliers étaient souvent combinés avec des missions de reconnaissance le long des frontières entre l'est et l'ouest. Les "Blinder" remontaient du sud vers le nord et survolaient la RDA avant de bifurquer vers la Pologne. Le groupe poursuivait alors sa route dans un silence radio complet, système d'identification "ami-ennemi" (IFF) déconnecté, simulant ainsi l'attaque surprise d'un groupe de bombardiers de l'OTAN (3). Blinder sur BerlinLe bombardement, le lancement de missiles air-sol, le mitraillage au sol (Tu-16) et la reconnaissance constituaient des tâches typiques en préparation d'une guerre pour les régiments de bombardiers lourds. Le renseignement ne représentait cependant pas un rôle majeur pour les unités de Tu-22K. Néanmoins et à l'instar de toutes les unités des forces d'aviation soviétiques, la reconnaissance était pratiquée fréquemment durant la plupart des vols par tous les équipages. Les régiments s'entraînaient bien entendu à leurs missions principales lors des exercices importants qui se déroulaient sur le théâtre des opérations Ouest, dont Zapad-84 (Ouest-84) qui eut lieu comme sa dénomination le sous-entend, en 1984. L'un des acteurs majeurs de cet exercice était le 121.TBAP. Répondant à une alerte, les Tu-22K du régiment décollèrent au grand complet de Matchoulichtchi (Biélorussie) et mirent le cap sur le polygone de bombardement situé à Riika, à 35km au nord-ouest de Tartou en Estonie. Après avoir "traité" l'objectif selon les plans de l'exercice, le régiment descendit à 100 mètres et continua son vol au-dessus de la partie centrale de la Mer Baltique à la même altitude. Les bombardiers passèrent inaperçus jusqu'aux abords des rivages de la RDA, les défences anti-aériennes du pacte de Varsovie ne parvenant pas à détecter les intrus et encore moins à lancer des actions offensives contre eux. C'est alors que la formation se divisa en deux colonnes, l'une frappant Berlin par l'est et la seconde par l'ouest. Un premier groupe se posa ensuite au nord de Berlin à Gross-Dölln, tandis que le second rejoignait Falkenberg au sud, chacun se posant aux alentours de 23H00. La présence d'un régiment complet de "Blinder-B" armés avec des versions d'entraînement du missile de croisière Kh-22 (AS-4 "Kitchen"), pris non seulement l'OTAN par surprise (4), mais également les officiers supérieurs du quartier général du GSVG à Zossen-Wünsdorf. Le lendemain fut déclaré journée de repos et le régiment repartit d'Allemagne de l'Est durant la nuit, direction la Mer Baltique. Il volait cette fois à une altitude de 9 à 10.000 mètres, croisant à haute vitesse en utilisant les contre-mesures électroniques. Il parvint ainsi à échapper de nouveau à la détection par les défences aériennes des "forces rouges" (la couleur rouge n'a ici aucun rapport avec les habitudes occidentales qui consistent à attribuer cette dernière aux "méchants" et le bleu aux "gentils"). Lors du trajet retour, le groupe simula le lancement de missiles (taktitcheskiye pouski) sur le polygone B-46 à Kourchskaya Kosa près de Kaliningrad avant de mettre enfin le cap sur la Biélorussie. Un plan d'attaque similaire fut suivi par le 203.TBAP de Baranovitchi, mais les appareils se posèrent dans ce cas à Debrecen en Hongrie (5). notes
(1)
Les Tu-22 de reconnaissance pouvaient être configurés en bombardiers conventionnels ou nucléaires.
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