DE L'AIRACOBRA AU MiG-29

L'histoire du 19éme Régiment d'aviation de chasse de la garde

Par Anton Pavlov (2010)

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Voilà maintenant 17 ans qu'un régiment de chasse de la garde renommé est basé au sud de la Russie dans le district de Rostov, près de la petite cité de Millerovo qui fut fondée en 1786. En 2009, cette unité a subi une réorganisation profonde, transformant ainsi le 19ème Régiment d'aviation de chasse de la garde en une unité opérationnelle toujours prête à être engagée.

P-40 L'histoire du plus vieux régiment d'aviation toujours actif commença le 17 janvier 1940, lorsque le 145.IAP fut mis sur pied près du village de Kayralo - qui était situé jusque peu auparavant en territoire finnois - et plaçé sous le commandement du Major V.N. Soff. Le personnel des premier et second escadrons du 138.IAP (volant sur chasseur I-15bis), le premier escadron du 20.IAP (I-16), ainsi que les pilotes des 48 et 80.IAP (sans leurs avions) constituèrent les fondations de la nouvelle unité. L'Ordre n°6 de la 9ème Armée des Forces Aériennes Militaires (VVS) entérinait la formation du 145.IAP le 1er janvier 1940. Le 24 mars, il fut redéployé sur l'aérodrome de Chonguy dans le district de Mourmansk, rejoignant ainsi la 27ème Brigade d'Aviation de la 14ème Armée des VVS.

Me110 Il faut souligner que la majorité des pilotes du nouveau régiment avaient une expérience du combat aérien d'une part contre les Japonais près du lac Khasan et de la rivière Khalkin-Gol, et d'autre part en Espagne contre les forces nationalistes. De plus, le régiment composé de ses trois escadrons avait participé à la Guerre d'hiver jusqu'au 13 mars 1940, exécutant 1125 sorties au cours desquelles il aurait obtenu cinq victoires en combat aérien pour la perte de cinq machines. Aussi, lorsque le télégraphe annonça le début de l'invasion nazie le 22 juin 1941 à quatre heures du matin, les officiers du régiment ne furent pas pris au dépourvu. Dès le quatrième jour de ce qui allait devenir la Grande Guerre patriotique, le 145.IAP enregistrait sa première victoire. Le 4 août, le Capitaine Zaytsev qui avait combattu auparavant en Chine et en Finlande, campagne à l'issue de laquelle il fut décoré de l'Ordre de l'étoile rouge, conduisait une escadrille de sept LaGG-3 lorsqu'il aperçu 13 Bf 110. Le Capitaine Zaytsev revendiqua la destruction de trois des chasseurs allemands pendant le combat aérien de 35 minutes qui suivit. L'un des pilotes fut fait prisonnier : il s'agissait de l'Hauptmann Gerhard Schaschke, commandant du Zerstörerstaffel/JG 5 et titulaire de 19 victoires. Alexander P. Zaytsev fut tué le 30 mai 1942 dans le crash de son Airacobra pendant un vol d'entraînement. Il avait 35 victoires à son actif dont 25 en collaboration.

Les victoires étaient tempérées par des pertes irremplaçables. Le 10 juin 1941, trois I-16 furent pris sous le feu nourri des défenses antiaériennes ennemies lors de l'attaque d'une colonne de véhicules se dirigeant vers le front. L'appareil du commandant d'escadrille, le Lieutenant Aleksey Nobolsin, fut touché; ce dernier dirigea son avion désemparé pour s'écraser contre la colonne ennemie. Le 27 juin 1941, le Lieutenant Misyakov périt en héros lors de l'abordage d'un appareil adverse pendant un combat qui opposa seize I-16 à un ennemi supérieur en nombre.

Flag La Bannière de la garde fut présentée le 20 juin 1942 au commandant du régiment, le Colonel de la garde Reyfchneyder. © A.Pavlov collection. Au cours des trois premiers mois de la guerre, le 145ème régiment réussi à résister à l'assaut de l'ennemi dans les conditions difficles des journées polaires, participant aux combat sur les axes de Mourmansk, Kandalakcha et Kestenga. L'Ordre n°102 du Commisaire du peuple à la défense de l'URSS daté du 4 avril 1942 annonçait la transfomation du 145.IAP en Régiment de chasse de la garde - le 19ème - "pour preuve de courage, d'héroisme et de fermeté dans la lutte contre le fascisme". La Bannière de la garde fut présentée au régiment le 20 juin 1942.

Airacobra Le régiment fut retiré du front également en avril quand il déménagea vers l'aérodrome d'Afrikanda afin d'y recevoir des Bell P-400 Airacobra 1 rejetés par la RAF ainsi que des Curtiss Kittyhawk. Les appareils arrivèrent en caisses directement au régiment sans passer au préalable par un régiment d'aviation de réserve (22.ZAP à Ivanovo). Le personnel technique fut livré à lui-même pour assembler les avions. L'Airacobra devint le type d'appareil principal de l'unité pendant plusieurs années - jusqu'à la fin de la guerre et même au-delà - et nombreux sont les souvenirs et les victoires qui lui sont associés. Le Capitaine Pavel Koutakhov - futur double Héros de l'Union Soviétique, Maréchal de l'Air et Commandant en chef des VVS après guerre - a été le premier pilote du régiment à piloter un Airacrobra 1. Au début, les pilotes soviétiques n'accordaient que peu de confiance à la configuration du train d'atterrisage tricycle, peu répandu à l'époque. Mais ils changèrent d'avis rapidement en constatant les avantages de cette formule par rapport à un avion équipé d'une roulette de queue : le champ de vision était meilleur lors du taxiage, lequel était par ailleurs plus facile. Les pilotes aimaient également la manière dont se comportait l'Airacobra en vol. Il surclassait tous les types d'avions en service auparavant avec le régiment en termes de vitesse maximale et de taux de montée. La verrière offrait un champ de vision circulaire et le cockpit disposait d'un chauffage. Par ailleurs, il était spacieux et confortable même selon les standards occidentaux; un aspect non négligeable pour des pilotes opérant en conditions arctiques et devant porter des vêtrements chauds d'hiver. La plupart des chasseurs soviétiques manquaient encore généralement d'équipements radio, tandis que leurs cockpits étaient plutôt encombrés. Même les derniers MiG, LaGG et Yak n'emportaient pas systématiquement un émetteur-récepteur, seuls les avions des commandants d'escadrille étant en mesure d'émettre des messages. La possibilité d'échanger des messages en vol permis d'améliorer de maniète significative les tactiques aériennes employées par les escadrons de P-39. Désormais, chaque pilote et plus seulement le commandant d'escadrille, pouvait avertir ses camarades du danger ou être lui-même prévenu à temps du danger.

Airacobra Les sentiments des pilotes soviétiques vis-à-vis de l'armement étaient partagés. Ils préféraient le canon automatique de 20 mm et considéraient les mitrailleuses Browning de 7,7 mm peu efficaces, capables seulement d'endommager les avions allemands mais pas de les abattre. Les mitrailleuses d'ailes furent souvent démontées, les pilotes estimant qu'il ne s'agissait pas d'un grand sacrifice. La réduction du poids qui en résultait permettait une augmentation des capacités manoeuvrières de l'avion (les Airacobra 1 étaient armés d'un canon de 20 mm et de deux mitrailleuses lourdes de 12,7 mm dans le nez, ainsi que de quatre mitrailleuses légères de 7,7 mm dans les ailes). Les aviateurs appréciaient beaucoup les dernières versions P-39Q de l'Airacobra qui étaient armées d'un canon de 37 mm et de quatre mitrailleuses .50 (12,7 mm ) - deux dans le nez et deux sous les ailes montées en gondoles. Selon les standards soviétiques, un chasseur devait être équipé d'un canon de de deux mitrailleuses lourdes. L'Airacobra excédait ces exigences, à tel point que les mitrailleuses d'ailes de cette version furent à leur tour souvent démontées afin d'alléger la machine, la puissance de feu restante étant estimée tout à fait suffisante. Les pilotes soviétiques affirmaient que l'Airacobra ne cédait en rien aux appareils ennemis aussi bien dans le plan vertical que dans le plan horizontal. Cette évaluation tranchait fortement avec celle des pilotes américains. Ces derniers n'aimaient pas la façon dont se conduisait l'Airacobra à haute altitude, alors que la plupart des combats qui se déroulaient sur le front de l'Est avaient lieu à basse ou moyenne altitude. Les Soviétiques relevèrent néanmoins plusieurs points sensibles sur ce type d'appareil.

Fomtchenkov La plupart des griefs concernaient le moteur Allison V-1710 qui surchauffait souvent ou posait des problèmes en combat et à l'atterrissage. L'huile n'était pas adaptée aux hivers russes et avait tendance à s'épaissir à basse température. Il y avait des cas de rupture de l'arbre de transmission par temps froid. Quelques défauts furent corrigés grâce aux amélioration apportées par Allison selon les recommandations des techniciens soviétiques. Les pilotes remarquèrent rapidement la propension de l'Airacobra à s'engager en vrille à plat. Etant donné l'absence de solution technique pour corriger ce grave problème - Bell ne parvint pas non plus à éliminer ce vice sur le Kingcobra - les pilotes apprirent à éviter certaines phases critiques de vol. Malheureusement, plusieurs pilotes d'essai ou de chasse périrent dans ces conditions.
Le 19.GvIAP retourna au front le 15 mai 1942 sous le commandement du Major G.A. Reyfchneyder. Le régiment comprenait 22 pilotes, tandis que deux escadrilles mettaient en oeuvre seize Airacobra 1 et une autre dix P-40E. Le soir du 15 mai, les deux premières victoires des Airacobra des VVS avaient été obtenues par le 19.GvIAP : quatre Airacobra interceptèrent un groupe de douze Bf 109 et de huit Bf 110 au-dessus du lac Tulp-Yarv. Au cours du combat qui s'ensuivit, le Capitaine Koutakhov et le Lieutenant Bochkov descendirent chacun un ennemi.

Airacobra Le jour suivant, Ivan Bochkov obtenait une nouvelle victoire, mais le régiment subissait également sa première perte depuis son rééquipement. Le Lieutenant Ivan Gaydenko détruisit son Kobra endommagé (Airacobra 1 s/n AN660) en essayant de le poser dans les bois. Si Gaydenko s'en sortit indemne, l'avion était une perte totale. Un mois plus tard, le 15 juin 1942, les premières victoires contre des bombardiers furent enregistrées lorsque un groupe de six P-39 repoussa un raid sur Mourmansk qui était composé de six Ju 88 escortés par seize Bf 109. Les pilotes du 19.GvIAP revendiquèrent pas moins de neuf appareils ennemis détruits sans avoir subi de pertes. Ivan Bochkov excella une fois de plus en abattant un Junkers et un Messerschmitt. Il n'obtint plus de victoires jusqu'au 10 décembre. Bochkov dirigeait alors un groupe de six Airacobra quand ils interceptèrent dix-huit bombardiers en piqué Ju 87 escortés par douze chasseurs Bf 109. Les pilotes soviétiques essayaient toujours de descendre le leader d'un groupe de bombardiers afin de semer la panique et disperser la formation. Deux Ju 87 dont l'avion du chef de groupe furent abattus dès la première attaque. Comme prévu, la formation des bombardiers en piqué se dispersa aussitôt. Au cours d'un bref engagement, trois autres appareils ennemis allèrent au tapis. Une nouvelle victoire fut attribuée à Bochkov et les six Airacobra retournèrent à leur base sains et saufs. Ivan Bochkov reçu le titre de Héros de l'Union Soviétique en février 1943 à l'issue de 308 missions de combat, sept victoires personnelles et trente-deux victoires partagées. Lors de sa 350ème sortie le 4 avril 1943, six Bf 109 le coiffèrent lui et son ailier. L'avion de ce dernier fut vite endommagé, mais Bochkov réussi à couvrir le retrait de son ailier. L'as remporta une huitième victoire avant d'être abattu lui-même par un Messerschmitt. Ivan Bochkov fut tué.

Kutakhov Six mois plut tôt, précisément le 9 septembre 1942, le Lieutenant Yefim A. Krivocheyev prit part à un combat opposant onze appareils soviétiques et dix-sept avions ennemis. Krivocheyev était titulaire de cinq victoires personnelles et de quinze victoires partagées. Lors de ce combat mémorable, il abattit un Bf 109 supplémentaire qui menaçait son commandant d'escadron Pavel Koutakhov. Krivocheyev étant à cours de munitions, il décida d'aborder le chasseur allemand. Ce geste lui coûta la vie, mais sauva celle de Koutakhov. Un Oukase du Soviet Suprême daté du 22 février 1943 accordait au Lieutenant de la garde Yefim Avtomovitch Krivocheyev le titre de Héros de l'Union Soviétique à titre posthume pour courage et héroïsme. L'Ordre n°219 du Ministère de la défense de l'URSS du 18 octobre 1972 décrétait que Krivocheyev serait affecté éternellement au premier escadron du régiment. Pavel Koutakhov termina la guerre comme Colonel commandant du 20.GvIAP. Il effectua 379 sorties, fut engagé dans 79 combats aériens et abatti 13 avions ennemis personnellement et 28 en collaboration (les dernières recherches confirment seulement cinq victoires personnelles). En 1969, Koutakhov devint le Général commandant les Forces Aériennes Militaires soviétiques, un poste qu'il occupa pas moins de quinze années.
Grigoriy Dmitriouk, un autre futur as du 19.GvIAP, effectua sa première sortie de combat à bord d'un Kittyhawk avant de passer sur Airacobra 1. En novembre 1944, Dmitriouk fut nommé capitaine et il prit le commandement d'un escadron. Lorsque la guerre se termina, il avait 206 sorties, 37 combat aériens et 18 appareils ennemis à son actif. Dmitriouk était décoré du titre de HSU. Il fut l'un des rares pilotes de chasse dans le monde à devenir un double as. Il eu en effet l'occasion d'ajouter cinq appareils américains à son actif alors qu'il pilotait un MiG-15 pendant la guerre de Corée en 1952-1953...

Poster Au cours des quatre années de guerre, le régiment réalisa 9941 sorties de combat au cours desquelles 247 appareils ennemis auraient été abattus. Les pilotes du 19.GvIAP volèrent successivement sur Polikarpov I-16 (56), MiG-3 (3), LaGG-3 (40), Hawker Hurricane (13), Curtiss Kittyhawk (25) et Bell Airacobra (92).
Les mécaniciens et les techniciens de l'unité méritent une mention spéciale. Malgré l'absence d'une formation adéquate et les sévères conditions arctiques dans lesquelles ils durent travailler, ils parvinrent non seulement à assimiler les nouveaux avions, mais également à assurer une disponibilité proche de 100% L'absence de documentation technique concernant les appareils étrangers était particulièrement ressentie et les mécanos durent faire preuve de bon sens et de vivacité d'esprit.
Il fallait parfois aller récupérer des appareils posés sur le ventre en première ligne. Au total, le service technique du régiment évacua 19 avions endommagés, effectua 7050 réparations sur les cellules et 2300 sur les moteurs.
La victoire finale coûta la vie à 62 pilotes et deux personnels au sol. Le titre de Héros de l'Union Soviétique revint à huit officiers dont quatre tombèrent au combat.


Me110 Les pilotes du 145.IAP abattirent six avions ennemis le 29 juin 1942. L'un d'entre eux, illustré ici, fut descendu près du Lac Tyoukhmenskoye. © A.Pavlov collection.

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