Le remorquage de cibles en RDA pendant l'immédiat après-guerre et jusqu'au milieu des années cinquante n'était pas nécessairement l'apanage
d'unités spécialisées dans cette tâche.
Deux cas de figure coexistaient. D'une part les unités de chasse ou d'attaque au sol remorquaient des bannières ou des manches à air avec leurs propres appareils
de première ligne et d'autre part, quelques régiments comme le 931.OKRAP ou le 48.OGRAP disposaient d'un escadron ou d'une section de
remorquage qui travaillait essentiellement au profit de la DCA. Se reporter à l'étude approfondie de l'article "Carnets de vol" donné en lien sous ce paragraphe pour en apprendre bien
davantage.
En 1954, une section de remorquage de cibles aurait été créée au sein du 277.BAP de Brand. Basés à Parchim à partir de la fin juillet, les Il-28 de cette section
étaient cependant entretenus à Brand. Cette unité serait à l'origine du 74.OBAE (Otdelnaya Bouksirovochnaya Aviatsionnaya Eskadriliya)
qui resta stationné à Parchim jusqu'en janvier 1982 lorsque l'escadron fut muté à Damgarten.
En mai 1956, c'était au tour du 65.OBAE d'être mis sur pied à Oranienburg sur base d'une section de remorquage non identifiée volant également sur Il-28.
L'escadron déménagea vers Stendal en 1958 et retourna à Oranienburg en décembre 1971. Finalement, le 65.OBAE rejoignit Damgarten en septembre 1977.
Mais cela était déjà de l'information ancienne, car, en 1965, la plupart des équipages de Yak-25M
et de Yak-25RV-I ainsi que le personnel technique et tout ou partie des avions rejoignirent Zerbst certainement en vue de se préparer à l'arrivée prévue pour
l'année suivante des nouveaux Yak-28P "Firebar" au sein du 35.IAP. Le fait est qu'au moins trois Yak-25RV-I furent observés et photographiés à Zerbst en 1966 et 1967.
En 1982, lorsque le 74.OBAE s'envola pour Damgarten à son tour, l'ensemble des moyens
de remorquage de cibles se retrouva consolidé sur une base unique avec un seul type de machine réparti en deux escadrons autonomes -
directement subordonnés au commandement de la 16.VA - composés de douze appareils chacun.
Le regroupement de ces escadrons spécialisés au bord de la Mer Baltique allait permettre d'exploiter
pleinement les polygones de tir air-air et sol-air situés au large. Cet aérodrome du Mecklembourg accueillait
par ailleurs régulièrement des unités soviétiques en provenance des autres pays du Pacte de Varsovie pour des campagnes de tir.
Au total, pas moins de cinq champs de tirs soviétiques et est-allemands étaient répartis le long des côtes de la Mer Baltique.
Un premier polygone soviétique était se trouvait à l'ouest : le champ de tir de Wustrow, situé à l'est de la ville de Rostock, était essentiellement
utilisé pour l'entraînement des servants de l'artillerie anti-aérienne et des systèmes de missiles sol-air.
Plus à l'est, au large de Damgarten et de Barth,
la péninsule de Zingst était le siège d'un champ de tir de la NVA désigné "Zone de tirs aériens n°1" (Luftschießzone 1 - LSZ 1)
qui était divisé en deux secteurs. Le premier était localisé à Zingst (Gefechtsstand 1) - à l'est - et le second dans le
"Mecklenburger Bucht" (Gefechtsstand 2) - à l'ouest (voir la carte au bas de cette page). L'artillerie anti-aérienne s'entraînait au tir direct
entre autres contre des cibles tractées par des Il-28 des LSK/LV (qui furent ensuite remplacés par des L-39V) et des An-2 dans le secteur ouest.
Des MiG-21 et des MiG-23 servaient également de cibles "miroir" (1) dans le secteur est.
Ce dernier, qui abritait la zone vie, devint également à partir de 1974 le lieu de casernement d'une unité de formation à la mise en
oeuvre des systèmes de missiles sol-air (FRAZ 40 - Fla-Raketenausbildungszentrum - Centre d'entraînement de missiles anti-aériens).
Des fusées sondes atmosphériques y furent également lancées à partir du début des années 70 (la dernière étant tirée le 10 avril 1992).
Il existait une troisième zone de tirs plus petite tout près de la base aérienne de Peenemünde. On peut encore trouver de nos jours
dans les "Peenemünder Haken," près de la côte, des carcasses de bateaux
(dont de vieilles péniches de débarquement est-allemandes déclassées) qui firent jadis office de cibles pour les appareils des différentes composantes
aériennes de la NVA. De plus, ces dernières s'avérèrent utiles lors d'exercices menés par le pacte de Varsovie, comme par exemple pendant
"Waffenbrüderschaft 80," quand les bateaux furent attaqués par des bombardiers lourds venus d'Union Soviétique.
Signalons également la présence d'un autre petit champ de tir air-sol situé à proximité. Ce dernier, utilisé par les appareils du JG-9
de Peenemünde, était implanté à l'est, entre l'aérodrome et le côte.
Un quatrième polygone exclusivement destiné aux tirs air-air etait à disposition des avions de chasse soviétiques
(2), des appareils
appartenant aux LSK/LV (qui désignaient la zone LSZ 2) et des chasseurs de l'aviation tchécoslovaque
qui y envoyait quelques avions une fois par an (vols aller-retour sans escale). Il était implanté à l'est de l'île de Rügen.
Le cinquième polygone, était réservé à l'entraînement des canonniers de marine soviétiques - moins appréciés par les équipages des remorqueurs à cause de leur propension à
ouvrir le feu trop tôt - ainsi que par ceux la marine est-allemande. Il était situé entre la ville polonaise de Swinoujscie (Swinemünde) au nord,
juste à la frontière avec l'Allemagne de l'Est et Ueckermünde au sud.
Wustrow, zone interdite
La presqu'île de Wustrow devint un site d'entraînement pour l'artillerie anti-aérienne dès 1934.
Un aérodrome en herbe d'une superficie de 1000 x 1000 mètres disposant d'un accès à la mer pour des hydravions y fut également aménagé.
Le remorquage de cibles était notamment effectué par des Junkers W34 équipés avec des flotteurs et des Ju-52.
Le site fut de nouveau activé à des fins identiques par les soviétiques après la guerre.
De plus, une unité d'artillerie côtière fut casernée à Wustrow jusqu'à la fin des années 50.
La NVA pratiqua elle aussi le tir anti-aérien depuis la presqu'île avant de déplacer ces activités à Zingst vers la fin de la même décennie.
Quelques Li-2 furent observés à Wustrow en 1959 et sans doute assuraient-ils le remorquage des cibles.
Quoi qu'il en soit, l'aérodrome ne sera plus actif au cours des années suivantes. Néanmoins, un point d'atterrissage pour hélicoptères
(le n°253) y sera créé.
Curieusement, près de 20 appareils dont certains s'apparentant à des leurres représentant des avions et des hélicoptères ont été déployés sur
l'ancien aérodrome à un moment donné. Il est probable qu'il s'agissait de maquettes représentant des appareils de l'OTAN en vue d'instruire les conscrits.
On retrouvait en effet ce type de cellules, qu'il s'agisse de matériel aérien ou terrestre, notamment sur différents champs de manoeuvre.
Outre les classiques canons de DCA, les véhicules chenillés anti-aériens (ZSU-27, ZSU-23-4)
s'entraînaient également au tir à Wustrow. Les canons visaient aussi bien des cibles aériennes (remorquage, PM-6) que des cibles terrestres
ou maritimes. Dans ce dernier cas, les objectifs étaient tractés par des bateaux qui évoluaient parfois jusqu'à huit kilomètres des côtes.
Tout trafic maritime était interdit dans un rayon de 15 kilomètres à la ronde.
Une piste d'entraînement pour blindés et une zone d'exercice pour l'infanterie étaient également aménagés à Wustrow.
Par la suite, un centre de formation pour les militaires utilisant des systèmes SAM y fut également implanté.
Les plages de Wustrow auraient aussi été utilisées dans le cadre d'exercices d'entraînement au débarquement.
Lors du retrait d'Allemagne, des navires de débarquement furent d'ailleurs utilisés afin d'évacuer du matériel.
La zone vie était située à Rerik, à l'est de la presqu'île.
De plus, divers éléments de la Flotte de la Mer Baltique ont été stationnés à Rerik-Wustrow de 1946 jusqu'à la fin.
L'essentiel fut constitué par des unités contrôlant la navigation maritime - notamment après la guerre, lorqu'il fallait éviter les champs de mines.
Un enclos séparé de la zone vie disposant de ses propres clôtures et d'un poste de garde était éclairé pendant la nuit. Il abritait les installations
de la marine : locaux, radars, radios et radio-balises. Il s'agissait sans doute également d'un point de support pour les activités d'écoute électronique.
Le côté obscur de Wustrow ne s'arrêtait pas là. La deuxième brigade spéciale de reconnaissance des services de renseignement militaire soviétique ou GRU,
y avait en effet établi ses quartiers.
Essentiellement d'après Rote Plätze par S.Büttner et L.Freundt (AeroLit) & Die verbotene Halbinsel
Wustrow par Edelgard et K.Feiler (Ch.Links).
Close up on the short towing boom of an Il-28.
The NR-23 tail turret guns were removed. That picture is extracted from the movie "Tri Portsenka Riska" shot in Kolomya in 1984.
Les Il-28 remorqueurs de cibles qui travaillaient aussi bien au profit des unités terrestres qu'aériennes,
étaient issus des modèles de bombardement standard et de
reconnaissance Il-28R (ces derniers se distinguaient grâce à leurs réservoirs montés en bouts d'ailes).
Les avions modifiés étaient des Il-28 Bouksirovchtchik Micheney (Remorqueurs de Cibles), mais, contrairement
à certaines affirmations, ils n'ont jamais pris la désignation d'Il-28BM. Leurs équipages étaient composés de façon similaire
à ceux des autres "Beagle" : un navigateur (Chtourman) dans le nez vitré, le pilote (Pilot) et le mitrailleur-opérateur
radio (Vozdouchniy Strelok-Radist) dans la tourelle de queue qui faisait office d'observateur du
système de remorquage. Nous ignorons selon quelles dispositions techniques ces avions remorquaient des bannières ou des manches à air
comme cela était le cas au cours des années cinquante. Par contre, le remorquage de cibles plus élaborées nécessitait d'emporter dans la soute à
bombes un treuil BLT-5 ou BLM-1000M. Celui-ci permettait de bobiner un câble de 1.800 mètres de long pour un diamètre de 5 mm ou un câble de 3 mm
faisant 4.000 mètres de longueur. Les appareils de Damgarten déployaient habituellement une longueur de 1.000 à 1.800 mètres de câble.
Il est temps d'aborder le cas particulier des Il-28PP du 65.OBAE (voir tableau ci-dessous et photos plus haut). Tout d'abord, la désignation PP pour
Postanovschik-Pomekh ou Brouilleur, est celle qui est donnée par les anciens mais il existait au moins un autre appareil avec une configuration différente également désigné Il-28PP.
On reconnaît aisément les Il-28PP du 65.OBAE au second radôme, identique à celui du radar sous le nez, situé au niveau de la soute à bombe ainsi condamnée. Selon quelques témoignages,
il existait au sein du 11.ORAP de Welzow
une escadrille autonome (un zveno - OAZ) mettant en ligne des Il-28PP et ce sont ces appareils qui, lors de la dissolution de l'escadrille, auraient rejoint les rangs
du 65.OBAE à Oranienburg durant l'été 1973. Ces avions n'auraient pas été utilisés comme plateformes ECM, mais simplement comme plastrons pour la DCA.
Dans tous les cas, ils auraient été incapables de larguer des cibles sans pylônes alaires.
Notons que de tels appareils étaient également en ligne avec chacune des sections de remorquage basées en Pologne (5.OBAZ) et en Hongrie (8.OBAZ).
(1)
L'avion faisant office de cible était accroché par un radar de l'unité de tir. Un second radar répétait l'echo de cet avion
mais avec des coordonnées différentes. C'est vers ce second écho fictif ou miroir, que les obus ou les missiles étaient tirés. Un dispositif
spécial permettait d'évaluer si l'objectif avait été atteint. Schéma de principe >
ICI. (2)
Des unités soviétiques stationnées dans les "pays frères" effectuaient parfois des campagnes de tir depuis Damgarten.
Deux exemples connus sont le 114.IAP de Milovice (CSFR) sur MiG-23M ou le 115.IAP de Tököl (Hongrie) sur MiG-21bis en 1984.
Les appareils de la 4.VA en Pologne étaient des visiteurs plus réguliers du champ de tir air-air (pas d'atterrissage à Damgarten) :
- 159.GvIAP "Novorossiysk" de Stargard-Kluczewo (Mig-21MF puis Su-27 dès mai 1987)
- 582.IAP de Chojna (Mig-21SMT puis Su-27 en 1989-1990)
- 871.IAP de Kolobrzeg-Bagicz (MiG-23M), transféré à Brzeg et rééquipé avec des MiG-23MLD
Le contôle aérien était assuré depuis Barth (indicatif Model). Lorsque les Tchécoslovaques occupaient le polygone,
un contrôleur de même nationalité assurait la permanence.
La surveillance de la zone de tir relevait de la responsabilité d'un Antonov 26 du 226.OSAP qui opérait depuis Damgarten
pour l'occasion.
Le 82 Aviatsionniy Poligon gérait le champ de tir.