La menace que représentaient les missiles sol-air à guidage radar Hawk de l'OTAN était prise très au sérieux
par les soviétiques. A tel point que des tactiques (comme les frappes nucléaires tactiques ciblées) ou des équipements (tels les
Mi-8SMV) avaient été développés en vue de leur neutralisation. D'autre part, les
champs de tir air-sol soviétiques comprenaient de nombreuses maquettes de Hawk.
Laurent Schmitz était l'officier de contrôle d'une batterie
Hawk belge déployée en première ligne près de la frontière est-allemande. Il nous dévoile ici au travers d'anécdotes
et de récits techniques la réalité opérationnelle de ces armes redoutées.
9 Novembre 1989, un peu avant minuit. La nuit est froide et paisible sur le site de missiles Hawk de Flechtdorf.
Dans le "Ready Building", l’équipe d’intervention regarde la cassette vidéo du dernier James Bond. Malgré les grillages
aux fenêtres, une vague d’interférences déforme l’image toutes les trois secondes, témoin du bon fonctionnement du radar
de recherche. Soudain, la sentinelle lance un appel au BCO, l’officier de contrôle de tir. « Mon lieutenant, il se passe
quelque-chose, j’entends des explosions un peu partout, c’est comme des tirs d’artillerie » … Au même moment, la sirène
d’alerte se met à hurler. Jaillissant des bâtiments, les hommes se précipitent à leur poste. Arrivés en haut de la colline
sur laquelle les radars sont perchés, les techniciens coiffent hâtivement leur casque et entament la check-list. Dans le
BCC (Battery Control Center), le BCO reçoit un premier briefing de son adjoint : « On a reçu le code "Blazing Skies",
comme pour un exercice, mais en même temps ils nous demandent de rester prêts à passer en "Battle Stations" ». Depuis
que le Hawk existe, de la Norvège à la Turquie personne n’est jamais passé en "Battle Stations". La différence
entre les deux ordres, c’est qu’en temps de guerre on connecte les "ombilicaux" des missiles…
En un temps record, les différents postes font rapport au BCO : « High Power Alpha is ready… Bravo is ready, PAR is ready,
CWAR is ready, Fire Section ready,... » L’opérateur du radar de poursuite Alpha, après avoir activé la commande à distance,
arrive le premier au BCC. Il prend place à la console de tir et fait son rapport d’une voix essoufflée : « Du haut de la
butte radar, on voit des fusées et des feux d’artifice un peu partout à l’horizon, et il y a de la lumière partout, tous les
villages sont illuminés. On entend aussi des sirènes et des cloches… ». Sur le canal radio du bataillon, le responsable
n’offre aucune explication et se contente de répéter « Standby, Standby… ». En huit minutes à peine, la batterie Alpha est
prête à tirer. Déjà, les opérateurs balayent la frontière est-allemande de leurs faisceaux électromagnétiques. Mais dans
le ciel, tout est calme. A part les avions de ligne habituels et une paire de chasseurs qui s’éloignent en RDA, rien à
signaler. La grande nouvelle arrive peu après du responsable des génératrices. Le caporal-chef parle l’Allemand
parfaitement. Dès que la rumeur est arrivée à lui, il a branché la télé sur ZDF et suivi les infos en direct …
« Le Mur est tombé! Le Mur est tombé! Partout ils passent la frontière, à Berlin, à Kassel, partout! ». Voilà qui
explique la tension soudaine. Le commandement allié craint une réaction violente du pouvoir communiste. Mais ce soir-là
comme les suivants, les MiG et les Soukhoi restent sagement au sol. Pour le personnel de la batterie Alpha, cette alerte
hors du commun annonce la fin de la guerre froide, mais aussi la fin des Forces Belges en Allemagne.
Technique et organisation
Fin des années 80 les bataillons d’artillerie antiaérienne belges sont organisés en quatre entités, en plus des services
logistiques : un centre de commandement, le BOC (Batallion Operations Center) et trois batteries de tir. Chaque batterie est
déployée sur un site aménagé spécialement pour accueillir tout son matériel de combat. En cas de tension ou d’alerte, les
batteries se déplacent sur des positions de guerre repérées à l’avance ou improvisées. Le déplacement d’une batterie dure
quelques heures et se fait normalement chaque nuit pour éviter une attaque préemptive. Le déploiement des batteries se fait
selon le principe de l’appui-feu en profondeur. Chaque batterie est intégrée dans un système de défense incluant la chasse
et d’autres moyens antiaériens, comme les missiles à longue portée Nike Hercules, les canons automoteurs Gepard et les missiles à courte
portée. Une véritable barrière de défense couvre la frontière Est de l’OTAN, de la Turquie à la Norvège.
En temps de paix, les trois batteries d’un bataillon reçoivent chacune un stade d’alerte défini par le temps nécessaire
pour être prêtes à tirer. En "20 minutes", le personnel est de garde sur le site pendant 24 heures. Le matériel fonctionne et est
prêt à tirer dans les plus brefs délais. En "6 heures", le personnel ne peut quitter l’unité, mais travaille en horaire
normal. Le matériel peut être débranché. C’est l’occasion de procéder à la maintenance des radars et des lanceurs. Les
grosses réparations se font dans la batterie en "12 heures". Par ailleurs, une partie du personnel peut alors prendre des
congés et même retourner en Belgique. Après une semaine, la batterie en "20 minutes" passe en "12 heures". Elle est
remplacée par celle qui était en "6 heures", elle-même remplacée par la troisième batterie. Cette tournante n’est pas
immuable et il est courant que la batterie en "20 minutes" se trouve incapable d’assurer son alerte, suite à une panne de
radar par exemple. C’est alors le branle-bas de combat dans les autres unités pour reprendre au plus vite le flambeau. De
cette façon, dans le pire des cas une attaque surprise dans le secteur belge se heurterait à au moins une batterie 100%
opérationnelle.