En vol
Derniers préparatifs avant de partir en mission au-dessus de la BCZ avec un Broussard. © MMFL.
Depuis deux ans qu'ils effectuent ce type de mission, pilote et observateur apprécient ces reconnaissances, la coopération qu'elles nécessitent et cette sorte de complicité qui les unit. Décollage sans encombre dans le trafic civil de la BEA, d'Air France ou de la Pan Am, passage à 100 mètres au-dessus de l'usine Borsig, puis recalage sur la cité Foch et les économats, Tegel à nouveau, et quelques instants plus tard, le Mur de Berlin. Tout de suite, la vision habituelle de l'Allemagne de l'Est : un patchwork de champs, de lacs, de forêts, de villes et de villages d'une couleur uniformément grise, aux toits de tuiles rouges souvent masqués par les fumées noires des usines. Très vite ils prennent une direction nord nord-ouest vers Reinickendorf puis Hennigsdorf. Ils effectuent alors un passage au-dessus des objectifs NVA d'Oranienburg appartenant à la 1ère DFM est-allemande, près des vestiges du camp de concentration et en limite de la BCZ. Plus au sud, Schönwalde et sa garnison se devinent à l'horizon. Il y a déjà longtemps que les observateurs arrivent à s'orienter sans carte, et il semble qu'aujourd'hui encore, nombre d'entre eux pourraient retrouver sans difficulté les axes d'approche, la dénomination des objectifs, leur numérotation, l'emplacement de certains parcs à chars ou de hangars, et les zones de déploiement. Un travail d'équipeSavoir reconnaître à 100 mètres d'altitude, en une fraction de seconde, l'intérêt d'un détail était le privilège des observateurs confirmés et, surtout, le résultat de plusieurs années de travail et d'expérience. Il n'était pas question d'effectuer deux passages successifs sur un même objectif sous peine de recevoir une fusée éclairante. C'est pourtant le risque qu'a pris la major Pietrini il y a quelques jours, le 22 janvier 1982. En passant au-dessus de Schönwalde, qu'ils viennent de survoler, quelque chose avait attiré son attention, sans qu'il puisse réellement définir de quoi il s'agissait. Faisant toute confiance au jugement de son observateur, le pilote avait donné son accord pour un second passage et le major avait pris une nouvelle série de photos. C'est alors qu'il avait distingué dans le viseur, sur le toit de chacun des véhicules et des blindés qu'ils survolaient, une lettre "K" peinte en blanc. De retour à la MMFL, il avait soigneusement examiné les photos prises qui confirmaient son observation. Ces lettres d'identification, invisibles du sol, étaient sans doute destinées à différencier les amis des ennemis à partir de la troisième dimension du champ de bataille. Lors de leurs interventions en Hongrie et en Tchécoslovaquie, les Soviétiques avaient peint des bandes blanches sur leurs chars et des bandes rouges sur leurs avions pour pouvoir les distinguer sans risque d'erreur. Alors, manoeuvres en perspective ou préparatifs d'invasion ?
En janvier 1982, les troubles n'avaient pas cessé en Pologne. Membre du pacte de Varsovie, l'armée polonaise possédait de nombreux véhicules
à roues et blindés de fabrication soviétique. Il pouvait donc s'agir d'éviter les tirs fratricides en différenciant les matériels en cas d'intervention. La mission
de reconnaissance aérienne était un véritable travail d'équipe et se préparait en totale confiance mutuelle. L'équipage qu'ils forment aujourd'hui, pilote et
observateur, s'entend à merveille et, pour ce qui concerne l'observateur, il apprécie tout autant de voler avec l'Armée de l'air sur Broussard, qu'en L-19 avec
ses camarades de l'ALAT. Aujourd'hui son pilote est le Chef des opérations "Air" qui lui demande, en prime, de photographier certains objectifs de "Priorité Air",
notamment la plate-forme d'Oranienburg, ou encore celle de Werneuchen où, de temps à autre, un "Brewer" vient leur couper la route. Ils ont l'habitude de voler
ensemble et dans ces conditions, l'observateur se concentre sur son propre travail. Avec un pilote confirmé, pilote de chasse et de reconnaissance, il n'y avait
pas vraiment de souci de navigation, ce qui n'était pas forcément le cas lorsqu'il s'agissait d'un néophyte de ce genre de mission. Un vol au-dessus de l'Allemagne
de l'Est ne s'improvisait pas. C'était d'ailleurs le même impératif pour les reconnaissances terrestres, il fallait plusieurs années d'expérience à un sous-officier
ancien pour maîtriser réellement son métier d'observateur et de chef d'équipage du Local, qu'il s'agisse de "sentir" un mouvement possible d'unité ou de saisir
l'occasion de rapporter une photo de "bâché N.I." (non identifié) qui serait identifié soit immédiatement, soit au retour lorsque les films auront été développés,
mettant en concurrence et en commun les expériences des uns et des autres. Jusqu'en 1994...
La situation changea pour la MMFL après le 9 novembre 1989. Feu Daniel Trastour de la MMFL témoignait dans son ouvrage intitulé "La guerre sans armes" :
« La MMFL continuait à exister, mais ses méthodes de travail avaient un peu évolué en fonction des circonstances nouvelles : Paris
avait interdit, pour ne pas faire de vagues et indisposer nos nouveaux amis russes, de poursuivre les missions terrestres ! A noter au passage que les Missions
alliées furent autorisées par leurs gouvernements à poursuivre leurs prospections terrestres ! En revanche, les Russes autorisèrent le survol
aérien de l'ex-RDA, mais selon des routes très strictes. Moi qui recevais régulièrement les rapports de la MMFL [Daniel Trastour était alors
affecté au Centre de Renseignement Avancé de Baden-Oos, celui-là même qui exploitait les productions de la MMFL] et qui possédais le quadrillage
imposé par les Russes, je m'aperçus vite que chacun de ces vols subissait parfois un sérieux vent de travers qui le déroutait vers un objectif
majeur situé dans une ZIP, et que nous ne pouvions d'ordinaire observer ! Nous n'eûmes d'ailleurs à ce propos aucune plainte des Soviétiques, tant ils
étaient occupés à rapatrier leurs matériels vers la Russie ! » notes(1) Durant la guerre froide, le 2è bureau de Berlin gérait le renseignement à Berlin-Est.
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