Cela était déjà assez déplaisant en soi, mais nous devions en plus photographier les équipements les plus intéressants que les Soviétiques
et les Allemands de l'Est auraient préférés garder au secret. De surcroît, l'aménagement du poste de pilotage rendait la navigation très
difficile et le risque de se perdre était toujours présent. Cet inconvénient et la perspective d'un arrêt moteur étaient toujours présents à l'esprit
des équipages, car leurs conséquences auraient bien pu nous entraîner dans ce que nous appelions "le long séjour en Russie" ("The long Russian course").
Cependant, les mécanos de RAF Gatow étaient, je suis heureux de le dire, assidus dans l'entretien des Chipmunk car ils savaient implicitement
qu'il était vital qu'aucun appareil ne soit obligé d'effectuer un atterrissage forcé lorsqu'il était du mauvais côté du Mur, d'autant plus que
beaucoup d'objectifs étaient éloignés, bien à l'est de Berlin-Est. Les Soviétiques n'appréciaient pas du tout ces survols, d'autant plus
que nous n'étions pas les seuls Alliés pratiquant ce genre de mission. Les Français de Tegel et les Américains de Tempelhof survolaient également la
BCZ, mais BRIXMIS était la seule Mission qui avait le contrôle total des ses propres opérations, exécutant à la fois les vols et les photographies.
La Mission française assurait elle-même la photographie, mais les pilotes ne faisaient pas partie de la Mission. Quant aux avions américains, ils
étaient mis en oeuvre par une organisation complètement différente. Il n'était par conséquent pas toujours possible de coordonner les activités
avec le même degré d'efficacité que pour les missions au sol. La coordination terrestre était en effet établie lors de réunions hebdomadaires entre les
états-majors des trois Missions. Lors de ces meetings, le planning était déterminé avec le plus grand soin afin qu'aucune rencontre inopinée
entre deux Missions n'aie lieu près d'installations militaires en RDA.
C'est lors de l'un de ces incidents que nous avons eu la preuve qu'un soldat soviétique nous avais tiré dessus, car nous l'avions photographié
alors qu'il pointait sa Kalachnikov vers le Chipmunk. A l'époque, comme j'étais navigateur de formation, je devais prendre part à ces missions et
j'obtins de tels résultats que le QFI, Mike Neil, me dit que si j'arrivais à apprendre à piloter, il se mettrait au Russe. J'ai depuis obtenu
ma license de pilote privé et je réalise maintenant que le Chipmunk n'était pas une machine des plus faciles à piloter et malgré cela,
Mike Neil n'a toujours pas commencé à étudier le Russe ! Nous avions néanmoins des procédures d'urgence en cas de panne moteur, mais, comme toute
personne sachant piloter un avion léger le sait, à 300 mètres ou moins, il ne reste que moins de deux minutes pour sélectionner la zone d'atterrissage
et, dans notre cas, se débarasser des preuves compromettantes. Nous ne prenions pas sérieusement en considération la suggestion qui voulait que nous
rassemblions tous les appareils photo, les objectifs et les films exposés pour les mettre dans le grand sac vert que nous emportions à cet effet,
pour ensuite le jeter par-dessus bord dans le lac le plus proche. Ou bien, de manière encore moins pratique, essayer de loger le sac dans l'espace situé
derrière le siège du pilote ou, sans doute, quelqu'un l'aurait retrouvé sans grande difficulté. De toute façon, le photographe était coincé à l'avant
et il lui restait peu de place pour faire quoi que ce soit. Avec deux boîtiers photo, deux objectifs, beaucoup de films et un carnet de notes, il était
impossible de cacher ce que nous faisions en réalité. D'autant plus que dans l'urgence, les deux membres d'équipage auraient été pleinement occupés à
trouver une surface utilisable pour un atterrissage forcé. Tenant compte de ces problèmes d'espace disponible et de laps de temps très court avant
l'impact avec le sol, le plan d'urgence le plus adapté consistait, une fois posé, à ouvrir les robinets de purge des réservoirs situés sous les ailes
pour ensuite enflammer l'avion à l'aide des petites fusées que nous transportions avant que nous soyions arrêtés, pourvu, bien entendu, que nous soyions
toujours conscients.