L'aérodrome de Damgarten, situé au nord-est de Rostock non loin de la côte de la Mer Baltique, figurait bien entendu parmi les objectifs des "équipes air" intégrées aux Missions militaires de liaison occidentales. Cependant, Damgarten était situé à l'intérieur d'une Zone Interdite Permanente (ZIP) et les "missionnaires" y étaient particulièrement malvenus. Si ces derniers étaient capturés à l'intérieur d'une ZIP, ils couraient le risque d'être déclarés "persona non grata" par les autorités soviétiques et ainsi de se voir retirer leur "Propousk" (laissez-passer), mettant dès lors fin à leur affectation en tant qu'officier de liaison en RDA. En mars 1982, la base aérienne de Damgarten abritait le 773ème Régiment d'aviation de chasse (IAP) volant sur MiG-21bis et le 65ème Escadron autonome d'aviation de remorquage (OBAE) équipé d'Il-28. Un second escadron de remorquage, le 74.OBAE, a quitté Parchim pour rejoindre Damgarten cette même année (voir > Les remorqueurs de cibles). De plus, des unités stationnées en RDA ou dans d'autres pays du pacte de Varsovie, étaient susceptibles de s'y déployer en vue de profiter du polygone de tir air-air de la Mer Baltique, à l'est de l'île de Rügen. On comprendra dès lors qu'il s'agissait d'un objectif de choix, pourvu de tomber au bon moment. Cependant, celui-ci était difficile à couvrir en raison de sa position géographique.
Le 15 mars 1982, une équipe air de la Mission militaire de liaison britannique près du Haut commandement soviétique en Allemagne (BRIXMIS)
s'était aventurée à l'intérieur de la ZIP, à quelques kilomètres de l'extrémité est de la piste de Damgarten,
dans l'espoir d'y observer des activités aériennes. L'équipage de la
voiture n°6, une Opel Senator, était composé du Captitaine (Flight Lieutenant) W. Crawford, chef de mission, du Chef de soute
(Master Air-Load Master) A. R. Johnson et du chauffeur, le Caporal (Corporal) P. M. Anderson. Le petit groupe avait trouvé un point
d'observation près d'un bois, mais par prudence, les militaires anglais décidèrent d'en rejoindre un nouveau au bout de 45 minutes.
Cette sage décision ne devait pourtant pas leur porter chance, bien au contraire !
Alors qu'ils faisaient mouvement vers un nouveau poste d'observation, l'Opel se retrouva embourbée au point de nécessiter l'usage du treuil manuel
(faisant partie de l'équipement standard des véhicules des Missions) afin de dégager le véhicule. C'est lors de cette opération que l'équipage
fut repéré par un agent de la VOPO (Volkspolizei - Police du peuple), du moins selon le rapport officiel de BRIXMIS relatant la détention.
La version de Svyatoslav Nitchiporets est différente. Ce dernier était affecté au 485ème Bataillon radar indépendant (ORTB) stationné au sud de
l'aérodrome, à proximité immédiate du 631ème Poste de détection radar (RLP) (voir cette > Photo). Interrogé sur les circonstances de cet incident, S. Nitchiporets nous a declaré : « La mission s'est retrouvée coincée dans une clairière dans les bois à 12 kilomètres de Ribnitz-Damgarten, près de la balise de l'aérodrome. Le directeur de la ferme collective qui était une de mes connaissances m'a appelé. J'étais l'officier de service. C'est la Section spéciale [c'est-à-dire la section de contre-espionnage du KGB] qui a exécuté la détention. » Selon Mark Prüfer (1), le véhicule est entré dans le bois de Behrenshägner vers 11 heures. Cette incursion a été observée par une équipe du MfS HA VIII (2) déguisée en uniformes de la NVA qui était justement en mission de surveillance. C'est alors que cette dernière a informé les Soviétiques de la présence de la mission britannique et l'arrestation s'est déroulée en coopération une demi-heure plus tard. Les différentes versions ne se recoupent pas strictement mais ne sont pas forcément contradictoires. Sans doute chaque acteur cité a-t-il pris part à cette action ou y a-t-il, par exemple, une confusion entre l'agent de la VOPO et les agents de la Stasi vêtus avec des uniformes de la NVA. L'équipe d'intervention soviétique est arrivée sur les lieux à pied, alors que le chef de mission et le sous-officier étaient hors du véhicule, tentant de le dégager. S. Nitchiporets poursuit : « Ils étaient embourbés et deux membres d'équipage étaient partis chercher un tracteur [d'où l'appel du directeur de la ferme collective ?]. Utiliser des armes ou même en posséder [dans de telles circonstances] était interdit. Aussi, quand le chauffeur à ouvert les portes [sans doute plutôt déverrouillé] pour laisser entrer ses collègues, nous avons coincé la poignée d'une pelle dans une porte, les obligeant à rester dehors; ils jouissaient en effet d'une forme d'immunité diplomatique à l'intérieur du véhicule. » Le rapport annuel de BRIXMIS (BRX 404/1 Incident 6007/82) est un peu différent et plus explicite : "Des troupes soviétiques à pied ont détenu le véhicule. Ensuite, un Lieutenant-colonel soviétique est arrivé, se présentant comme un officier de la Komendatoura de Rostock. Le chef de mission a vérifié son laissez-passer et a remarqué qu'il était différent de celui présenté par un autre Lieutenant-colonel de la force aérienne soviétique. Le chef de mission a obéi aux instructions apparentes du commandant lui demandant de sortir du véhicule. Lorsque la porte fut déverrouillée [l'épisode de la pelle ?], le chef de mission fut tiré hors du véhicule et frappé tandis que tout l'équipement fut confisqué. Un autre Lieutenant-colonel est ensuite arrivé sur les lieux, se présentant comme étant le Commandant [soit le chef de la Komendatoura] de Rostock. Il y eu une dissension entre cet officier et le personnel de la force aérienne présent."
Mark Prüfer dont le récit est basé sur les rapports de la Stasi précise que plus tard, l'un des Britanniques a essayé de rentrer à nouveau dans le véhicule,
mais en a été empêché par les Soviétiques présents en force [s'agit-il de l'épisode du chef de mission extrait du véhicule par la force ?].
Une fois le véhicule vidé de ses occupants, le groupe d'intervention soviéto-allemand
a pu le vider de tout son contenu. Le matériel relatif au travail des missions tel que les appareils photo, les films, les jumelles, les dictaphones,
les cartes, les notes, les lunettes de vision nocturne etc. (3) fut confisqué par les Soviétiques.
Les effets personnels ou sans rapport avec le travail de renseignement furent par après rendus à leurs propriétaires.
L'équipe de BRIXMIS s'est ensuite rendue à la Komendatoura pour y être interrogée selon les procédures habituelles lors des détentions. Epilogue
Le 17 mars, le Général de brigade (Brigadier) John Learmont, commandant de BRIXMIS, rencontra le Lieutenant-colonel Robert Polozov, responsable de la Section des Relations
Extérieures Soviétique (SRE) à Potsdam - le bureau de liaison soviétique pour les Missions alliées -
afin de protester contre l'usage de violence et déplorer le fait que des militaires soviétiques se soient fait passer pour du personnel de la Komendatoura de Rostock.
Le chef de la SRE présenta quant à lui une lettre du Chef d'état-major du GFSA, le Général d'armée Mikhail M. Zaytsev,
destinée à son alter ego de la British Army of the Rhine (BAOR), dans
laquelle il protestait contre la violation d'une ZIP. notes
(1)
Auteur de l'ouvrage intitulé "Auf Spionage Tour" - BOD Books on Demand, Norderstedt, 2011. ISBN 978-3-8423-6053-2.
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