Une Allemagne unifiée et souveraine

Su-17M4 Avec la fin de la guerre froide, les journées portes ouvertes organisées sur les bases soviéto-russes de l'ex-R.D.A. devinrent accessibles aux visiteurs occidentaux, comme à Finow en mai 1992. © G.Botquin.

With the end of the cold war, the open days organised on Soviet-Russian airbases of former G.D.R. became accessible to western visitors like at Finow in May 1992. © G.Botquin.
Au début de l'année 1990, les Allemands, redevenus acteurs et non plus seulement spectateurs de leur histoire, revendiquaient le droit de décider eux-mêmes de leur destin. Plus personne ne pouvait en douter : l'Allemagne allait retrouver tôt ou tard son unité territoriale et politique. En dépit des réticences soviétiques, les vainqueurs de 1945 finiraient bien par négocier l'abandon de leurs droits sur l’État allemand unifié.

Le 6 juillet 1990, à Londres, la résolution finale du sommet de l'O.T.A.N. proclamait, d'une part, que l'U.R.S.S. n’était plus l'ennemi et, d'autre part, qu'une refonte de l'organisation de l’Alliance atlantique était nécessaire. Dix jours plus tard, le 16 juillet, était signé à Jeleznovodsk l'accord germano-soviétique dit "du Caucase" qui enterrait quarante-cinq ans d'affrontement Est-Ouest. Par ce document l'U.R.S.S. s'engageait à retirer l'ensemble de ses troupes casernées sur le territoire de l’ex-R.D.A. pour le 31 décembre 1994 au plus tard et acceptait l'unification de l'Allemagne au sein du bloc occidental. En contrepartie les Allemands fixaient pour la Bundeswehr un seuil d’auto-limitation de 370.000 hommes (à réaliser pour 1998), s’engageaient à défendre l’élimination de toutes les armes nucléaires sol-sol installées sur leur territoire et, enfin, reconnaissaient l’intangibilité de leur frontière avec la Pologne: la ligne Oder-Neisse - du nom des deux fleuves qui, de la Baltique à la frontière Tchèque en Lusace, marquent la limite occidentale du territoire polonais tel que fixé par les accords de Potsdam de 1945. Enfin, les Soviétiques renonçaient au cours des négociations "2+4" (entre les deux États allemands et les quatre puissances de tutelle de l’Allemagne - l’U.R.S.S., les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne) à exiger un traité de paix.

Pilotes Oranienburg Journée portes ouvertes à Oranienbourg en mai 1994, quelques semaines avant l'évacuation. Signe des temps, un pilote russe prend la pose avec son homologue américain (porteur d'un médaillon représentant l'Ordre du drapeau rouge), venu presque en voisin pour l'occasion avec son Bell UH-1H basé à Berlin-Tempelhof. © H.Mambour.

The wind of change was blowing, no doubt! US Army Aviation and Russian AA pilots united for the cameras at Oranienburg open day in May 1994. Besides this US Bell UH-1H, a British Gazelle AH.1 from Berlin-Gatow was also present. © H.Mambour.
L'Allemagne en voie de réunification était, sous réserve d’une ratification de ces décisions par les parlements des quatre puissances concernées (ce qui fut fait pour l’été 1991), rétablie dans sa pleine souveraineté, entièrement responsable de son destin, libre de choisir son système d’alliance et libérée de toute tutelle sur l’intégralité de son territoire, y compris sur l’ensemble des anciens secteurs d’occupation militaire alliés et soviétique de Berlin. L'accord final, signé à Moscou le 12 septembre 1990, à l’hôtel Octobre, fastueuse maison d’hôte du Parti communiste de l’U.R.S.S., était intitulé "Dispositions finales concernant l'Allemagne". Le 3 octobre 1990, en grande pompe, avait lieu l'unification allemande dans l’ancienne capitale du Reich, la réunification officielle des deux Allemagne désormais fondues en un seul État de plus de 80 millions d’habitants.

Deux mois plus tard, le 2 décembre, les premières élections de l'Allemagne réunifiée consacraient le triomphe politique du Chancelier Helmut Kohl dans une République fédérale d'Allemagne élargie par l’adhésion de cinq nouveaux Länder (Mecklembourg-Poméranie occidentale, Brandebourg, Saxe-Anhalt, Saxe et Thuringe) reconstitués peu ou prou dans leurs limites d’avant-guerre, celles de l’éphémère République fédérale de Weimar (1919-1933). Néanmoins, même unifiée et souveraine, la nouvelle Allemagne accueillait toujours en temps de paix la plus forte concentration de forces militaires de tous les temps. Pas moins de sept armées nationales y campaient encore l'arme au pied. Du Rhin à l'Oder, le sol germanique comptait toujours un demi-siècle après l’écrasement du IIIe Reich des armées américaine, britannique, canadienne, française, belge, néerlandaise et soviétique.

Le retrait de l'Armée soviétique

Gare de Mahlwinkel La gare de Mahlwinkel le 16 mai 1994, alors que le 337.OVP vient de décoller pour la dernière fois de la base toute proche. Le charroi va rejoindre la Russie par le rail. Une vision courante dans les villes de garnison est-allemandes entre 1991 et 1994. © H.Mambour.

Mahlwinkel train station on 16 May 1994. Trucks and armoured vehicles of the units from the base nearby left Germany by train. A common sight in former East Germany between 1991 et 1994.
© H.Mambour.
Si au début des années quatre-vingt, lors du débat sur les euromissiles, les questions stratégiques passionnaient les Allemands, dix années plus tard, en pleine période d'unification sociale et économique, elles sont apparues les toucher peu. Curieusement, le départ progressif d'une très large part des troupes américaines et des autres pays de l'Alliance atlantique est passé presque aussi inaperçu que le début de retrait de l’Armée soviétique.

C'est en 1955, sur base d'un accord bilatéral entre l'Union soviétique et la jeune République démocratique allemande (R.D.A.) - renforcé par un traité d’amitié, de coopération et d'assistance mutuelle mieux connu sous son appellation de traité ou pacte de Varsovie - qu’était entérinée la présence militaire soviétique en Allemagne de l'Est. Une présence devenue en fait inéluctable un certain 22 juin 1941 lorsque l’Allemagne hitlérienne, avait lancé la Wehrmacht à la conquête de l’U.R.S.S...

Estimée, en 1990, à un peu moins de 600.000 (1) personnes (soit environ 360.000 militaires et 220.000 civils et spécialistes), les forces soviétiques en Allemagne orientale occupaient plus de 1000 casernes, dépôts, installations de missiles, bases aériennes et terrains d'exercices, le tout couvrant environ 240.000 hectares (un espace plus grand que l’ensemble de la région parisienne ou l’équivalent du Land allemand de Sarre). Du point de vue matériel, elles alignaient une armada sans équivalent nulle part ailleurs : 4000 chars de combat, des dizaines de milliers d'autres véhicules, 1300 avions et hélicoptères auxquels il faut ajouter quelque 3500 pièces d’artillerie et des stocks d'au moins un million de tonnes de munitions (2), des centaines de milliers de palettes de matériels divers et vingt mille tonnes de gaz de combat toxiques.

Il-76 Les avions du VTA représentaient une vue familière sur les bases russes de RDA. Les appareils les plus observés parmis les avions de passage assurant l'évacuation du matériel, étaient les Iliouchine Il-76 "Candid". Bien que peints aux couleurs de l'Aeroflot, ces avions et leurs équipages étaient bel et bien militaires. © H.Mambour.

Russian Military Transport Aviation (VTA) aircraft were often present on 16.VA airbases. The Il-76 'Candid' disguised in Aeroflot markings were the mainstay of the airbridge between Germany and Russia. © H.Mambour.
Il va sans dire que l'ampleur du déménagement des troupes soviétiques stationnées en Allemagne n'aura eu d’égal que son coût. Un retrait avec armes et bagages presque entièrement financé par l’Allemagne nouvelle en vertu de l'accord germano-soviétique du Caucase. D’après les estimations les plus plausibles, ce retrait lui aurait coûté la coquette somme de 16,55 milliards de Deutsche Mark. Un pactole qui n’a bien sûr pas été versé en argent liquide aux héritiers de l'empire soviétique mais qui a pris la forme, pour moitié, d’un paiement des frais d’entretien et d’évacuation des troupes russes stationnées en Allemagne et, pour son autre moitié, par la livraison de matériaux de construction pour des casernes, maisons et écoles à bâtir dans la partie occidentale de la Communauté des États Indépendants ou en abrégé la C.E.I. (3).
Si, dès 1989, dans le cadre de la nouvelle politique de détente annoncée par le président Mikhaïl Gorbatchev (4), les forces soviétiques en Allemagne perdaient leurs premiers éléments (5), le véritable retrait général négocié ne commençait qu'en 1991. Cette année-là, l’Armée soviétique évacuait un quart de ses moyens humains et matériels stationnés en Allemagne. Ce retrait était suivi en 1992 d'un second impliquant un tiers de ses forces, tandis qu'un autre tiers était évacué au cours de l’année 1993; les dernières unités devant impérativement quitter l'Allemagne pour le 31 décembre 1994. Cependant, eu égard aux profondes difficultés économiques intérieures que connaissait alors la C.E.I., l'on a cru un moment que ce déménagement ne pourrait être terminé avant 1995. En effet, indépendamment des problèmes humains et sociaux engendrés par ce retrait, la C.E.I. butait sur le casse-tête logistique énorme que constituait la relocalisation d'une population équivalente à environ trois villes européennes de dimensions moyennes.

Vjasma Les nouveaux logements de Vjasma, construits pour les militaires russes autrefois basés en Allemagne. Des hélicoptères provenant de Stendal et Cochstedt ont été observés par l'auteur sur la base aérienne toute proche, port d'attache de la patrouille acrobatique "Rous". © H.Mambour.

Only a limited number of military personnel and their families have enjoyed the privilege to get a new built flat when they came back from Germany like at Vjazma. Helicopters from Stendal and Cochstedt have been observed by the author on the airbase nearby. © H.Mambour.
Le 16 décembre 1993, à l'issue de deux journées de rencontre à Moscou entre Messieurs Boris Elstine et Helmut Kohl intervenait un nouvel accord stipulant que les quelque 200.000 Russes encore stationnés sur le territoire de l’ex-R.D.A. devaient, quoi qu’il advienne, avoir quitté l'Allemagne avant le 31 août 1994, soit quatre mois plus tôt que prévu. En contrepartie, Bonn décidait d’allouer 550 millions de D.M. supplémentaires pour le relogement des militaires de l’ex-armée soviétique. De plus, toujours à but d’accélérer le retrait de cette armée et pour obtenir un accord en bonne et due forme concernant les deux millions de citoyens russes de souche allemande chassés des bords de la Volga par Staline après la Deuxième Guerre mondiale, les Allemands ont accordé aux Russes un moratoire de huit ans pour leur permettre de rembourser la dette contractée par l’ex-U.R.S.S. à l’égard de l'ancienne R.D.A. Dans le même esprit, ils ont réitéré leur promesse d'indemniser, à hauteur d'un milliard de D.M., les victimes du nazisme.

notes

(1) Au 1er janvier 1991, les Russes reconnaissaient officiellement la présence en Allemagne de 546.200 hommes dont 337.800 militaires et 208.400 civils - familles et spécialistes - aux rangs desquels ils recensaient 90.000 enfants. D’après: Sowjetische Truppen in Deutschland 1945-1994, Junge Garde Verlag, Moskau (Moscou - Russie), 1994, pp.285-286.
(2) Les chiffres russes officiels mentionnent un total de 677.000 tonnes de munitions (D’après: Sowjetische Truppen in Deutschland 1945-1994, op. cit., p.286). Toutefois, à la lumière des découvertes effectuées après la chute du Rideau de fer et relatives aux stocks de guerre de l’ancienne armée est-allemande, le chiffre d’environ 2,5 millions de tonnes de munitions avancé par certaines sources occidentales pourrait être plus proche même s’il paraît à première vue exagéré.
(3) L’Union soviétique a été officiellement remplacée par la C.E.I. ou Communauté des Etats Indépendants (S.N.G. en russe) le 21 décembre 1991, à Alma-Ata au Kazakhstan (aujourd’hui Almaty), sur décision de dix des quinze républiques de l’ancienne U.R.S.S. à l’exception des trois Etats baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie) de la Moldavie et de la Géorgie. Cette dernière, embourbée dans des conflits internes, rejoindra bon gré mal gré la C.E.I. deux ans plus tard, le 22 octobre 1993.
(4) Le 1er octobre 1988, Mihaïl Gorbatchev était nommé chef de l’Etat soviétique en remplacement d’Andreï Gromiko. Et, le 1er décembre 1988, ce qui jusque-là n’avait jamais été qu’un titre plutôt honorifique, devenait un poste clé après approbation par le Comité central et le Soviet suprême, d’une série d'amendements à la Constitution soviétique instituant une présidence de l’Etat aux pouvoirs étendus.
(5) Le 7 décembre 1988, à New York, devant l’Assemblée générale des Nations Unies réunie en séance plénière, Mihaïl Gorbatchev annonçait pour 1991 le retrait unilatéral de 10.000 chars et de 10% des troupes soviétiques (soit environ 500.000 hommes) stationnés en Europe centrale.


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