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La sécurité des aérodromes soviétiques

Le personnel de l'Equipe Air de la Mission militaire de liaison US mettait un point d'honneur à éviter d'être détenu lors de la collecte de renseignements au sein de l'ancienne zone d'occupation soviétique. Bien qu'il n'exista pas de définition précise de ce qui constituait l'essence d'une détention, ma définition personnelle était la suivante : une équipe de reconnaissance n'était considérée comme détenue que quand un représentant le la komendatura (bureau de la police militaire) locale se déplaçait sur les lieux et qu'une déclaration officielle (akt) était préparée. Le personnel en mission refusait systématiquement de signer un tel document. C'est le fait qu'une mission devait être interrompue pour que l'équipe retourne immédiatement à Berlin-Ouest afin de rendre compte, qui déterminait la gravité d'une détention ou d'un incident. Il s'agissait d'une question de jugement de la part de l'officier en charge de la mission. Ainsi, se faire prendre lors de l'observation d'une colonne de véhicules et l'établissement de l'akt qui en découlait, ne justifiait pas l'abandon de la mission. Par contre, si des coups de feu avaient été tirés, l'équipe était supposée rentrer à Berlin-Ouest immédiatement pour remplir un rapport. En tout état de cause, une détention était susceptible de remonter la chaîne de commandement soviétique. Le commandant de la USMLM pouvait théoriquement être convoqué à la Direction générale des relations extérieures soviétique (Soviet External Relations Branch - SERB) à Potsdam afin d'être "grondé" pour les actes ignobles commis par ses subordonnés. Il appartenait à l'officier en mission de reconnaissance de décider sur place si un retour à Potsdam pour rapporter un incident ou une détention, était opportun. Cela n'aurait certainement pas été une bonne idée, que de laisser le commandant de la USMLM dans l'ignorance d'une protestation imminente, suite à laquelle il se serait retrouvé sans arguments devant les autorités soviétiques...

Incident dans les environs de Falkenberg

OP Un beau jour de l'automne 1973, le capitaine Larry Patterson, le sergent-chef Konrad Spitzenberger et moi-même étions en route pour couvrir les opérations aériennes à Falkenberg, où des chasseurs FLOGGER B (MiG-23M) étaient arrivés quelques mois auparavant (voir la page précédente décrivant nos observations des FLOGGER sur place). La communauté du renseignement avait toujours besoin de photographies techniques de qualité de cet appareil et nous espérions en réaliser. Mais ce qui se passa durant cette mission nous donna à chacun une bonne leçon : ne jamais utiliser l'endroit où vous avez dormi comme point d'observation préliminaire (pre-OP) ! Nous avions choisi un emplacement au sud de Ubigau, près du petit village de Neumühl. Cela nous plaçait à huit kilomètres à l'est de l'extrémité de la piste de Falkenberg, suffisamment près de l'aérodrome pour que nous puissions entendre toute activité susceptible de débuter. Nous étions dans une forêt composée de jeunes sapins côtoyant des arbres adultes. Nous pensions être entrés dans la zone sans nous faire remarquer, et c'était peut-être bien le cas. Cependant, les forstmeister (gardes forestiers) locaux savaient toujours ce qui se passait dans leur zone de reponsabilité et ils étaient connus pour leur propension à examiner soigneusement les traces laissées par les visiteurs sur les sentiers forestiers. Après tout, nous n'utilisions pas de pneus soviétiques ou est-allemands sur nos véhicules, aussi les gravures occidentales des nôtres étaient très distinctes. Cela était particulièrement vrai avec les pneus larges tout temps des véhicules de la USMLM. Quoi qu'il en soit, quelqu'un nous avait trouvé et les "méchants" avaient préparé une opération de détention contre nous.

Larry Patterson Le capitaine Larry Patterson en attente d'action. Une bâche avait été posée sur le pare-brise de cette Ford Custom 500 - une voiture utilisée au début des années 70 - afin d'éviter les reflets du soleil qui auraient pu trahir la présence du véhicule. © USMLM.

Captain Larry Patterson waiting for action. A tarp had been placed on the windshield of this Ford Custom 500 - a car that was used during the early 1970s - in order to avoid sun reflections that could betray the presence of the vehicle. © USMLM.
Bill Burhans Bill Burhans en train de noter les numéros de code des avions lors d'une journée de vol sur un aérodrome soviétique de RDA. © USMLM.

Bill Burhans seen logging aircraft bort numbers while monitoring a flying program on a Soviet airfield in the GDR. © USMLM.
Il existait, sur chaque aérodrome soviétique, une force de réaction rapide chargée de répondre aux notifications signalant la présence d'une équipe de reconnaissance provenant d'une Mission militaire de liaison alliée dans les parages et ayant pour objectif la capture de cette dernière. Une telle force avait été mobilisée à Falkenberg, comme nous n'allions pas tarder à le découvrir. Nous avions passé une bonne nuit de repos et nous commencèrent à attendre une activité aérienne potentielle après le petit déjeuner. Le parebrise de la voiture était couvert d'une couverture verte militaire afin d'éviter que des reflets trahissent notre présence et nous étions tranquillement assis dans les bois. Enfin, nous avons entendu le son d'un avion qui passait au-dessus. Puis, encore un second. Après le troisième ou le quatrième, nous avons décidé qu'il était temps de se mettre en route pour un point d'observation depuis lequel nous pourrions observer et photographier les avions. A ce moment, Larry remarqua un mouvement dans les arbres à environ 30 mètres. Il se dirigea vers l'individu que l'on pouvait deviner furtivement derrière un arbre. Après s'être approché de quelques mètres de ce "mouchard" de la Stasi, Larry s'arrêta soudainement sur place et revint aussitôt en courant vers la voiture. Le fait que le "mouchard" ne s'était pas sauvé - cela était d'habitude le cas quand ils étaient découverts - était un signe de mauvaise augure. Larry nous cria de remballer rapidement et de se préparer à partir, ce que nous fîmes. Le véhicule était dans une petite clairière entourée de hauts arbres. Il y avait devant nous de petits sapins et une piste qui courait à gauche et à droite, entre deux bosquets. Nous étions à l'endroit où la piste partant à gauche descendait légèrement vers un chemin principal, tandis que celle partant à droite était plate et menait vers un autre chemin principal. Nous avions choisi cet emplacement pour cette raison; la procédure normale voulait que nous ayons toujours au moins deux voies à notre disposition pour évacuer un point d'observation en cas de nécessité. Spitz démarra le véhicule et fit mouvement pour rejoindre la piste inclinée sur la gauche. Nous sommes alors tombés nez à nez avec un camion ZIL-131 qui remontait la pente. Son chauffeur freina brutalement au lieu de nous rentrer dedans. Dans la précipitation, il avait apparemment oublié de pousser sur la pédale d'embrayage et son moteur cala.

Konrad Spitzenberger Le segent-chef Konrad Spitzenberger prépare le repas du soir près de sa couchette pour la nuit. © USMLM.

Master Sergeant Konrad Spitzenberger prepares the evening meal near his army cot for the night. © USMLM.
Sans hésiter une seconde, Spitz bascula notre berline à quatre portes Mercedes 350SE en marche arrière. Alors que nous atteignions le point où nous avions tourné sur cette piste au départ, des militaires soviétiques commandés par un officier brandissant un pistolet, surgirent des sapins. Ils portaient tous des pattes de col bleues, ce qui les identifiait comme étant des membres des Forces aériennes militaires. Mais rien, pas même ces gens qui sortaient des bois, ne pouvait arrêter Spitz. Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd'hui (et quelle chance ce fut), Spitz était parvenu à relever la vitre de sa porte tout en remontant la piste à toute allure et en marche arrière. Un soldat soviétique utilisa alors son AK-47 comme une batte de baseball, tentant de toucher Spitz à la tête. Du verre vola partout, mais Spitz ne se serait arrêté pour rien au monde. Si la vitre du conducteur n'avait pas été là pour absorber le choc, je suis convaincu que Spitz aurait perdu connaissance ou qu'il aurait été tué... Nous pensions tous que nous allions certainement être détenus. Sûrement, les Soviétiques avaient placé un autre gros camion sur l'autre piste, celle qui constituait notre dernière possibilité de sortie. Mais à notre grande surprise, les seuls obstacles sur notre chemin étaient les soldats qui étaient sortis des bois. Spitz fonça simplement dans le tas en marche arrière pour atteindre le chemin principal. Les hommes de troupe se précipitèrent sur les côtés pour ne pas se faire écraser. Nous avons quitté les lieux aussi vite que nous pouvions, surpris par notre bonne fortune. Il est clair que l'équipe de réaction rapide venait de l'aérodrome de Falkenberg et qu'elle avait profité du bruit des avions et de notre distraction pour couvrir son approche. Ses hommes n'étaient pas pressés et ils ne se sont pas trahis. Leur équipe nous a totalement surpris. Cependant, je ne comprendrai jamais pourquoi ils nous laissèrent une route d'évacuation ouverte... Nous avons surgis des bois sur la route qui menait vers l'est à Neumühl. Nous traversèrent rapidement ce petit village pour rejoindre le pont qui enjambait la rivière Schwarze Elster, continuant jusqu'à la ville de Beutersitz. Ensuite, nous avons mis le cap au nord sur la route principale numéro 101 qui reliait Bad Elsterwerda et Jüterbog, pour essayer de trouver rapidement une bonne place pour se cacher. Nous étions tous bien secoués. Le niveau d'adrénaline était au sommet ! Nous étions en train d'enlever tous les petits morceaux de verre qui couvraient nos vêtements et tout l'intérieur du véhicule.

SCUD TEL SCUD Mise en oeuvre de missiles R-17 (SS-1C "SCUD-B") de la 112ème Brigade de Missiles stationnée à Henzrode. © DR.

R-17 missiles (SS-1C "SCUD-B") of the 112th Missile Brigade stationed at Henzrode, deployed on a training range. © DR.
Alors que nous commencions à nous calmer et que nous discutions des évènements précédents, nous sommes tombés tête la première sur un objectif très sensible : une unité de missiles sol-sol tactiques SCUD B en route vers le sud ! Nous avons pensé que cette fois, nous étions dans la m.... pour de bon ! Là, nous venions d'échapper à une détention et maintenant il nous manquait une vitre ! Si ces troupes appartenant à un type d'unité connu pour son souci de haute sécurité et rapide à réagir nous avaient détenu, nul doute qu'elles auraient réussi à entrer dans notre véhicule pour confisquer tout notre équipement. Mais la chance était avec nous pour la seconde fois ce matin-là. Les gens de l'unité de SCUD n'étaient bien entendu pas en contact avec l'équipe de réaction rapide, aussi, nous n'étions pas vulnérables de ce côté-là. En outre, ils ne nous prêtaient aucune attention. Il est tout à fait possible qu'ils ne nous aient pas reconnus pour ce que nous étions, car de telles unités sortaient rarement des zones interdites permanentes, tandis que les équipes de reconnaissance des Missions alliées ne s'aventuraient pas souvent à l'intérieur de ces dernières. Cette unité devait se rendre à un nouvel emplacement avec un timing précis et n'admettait aucune interférence. Nous avons ainsi pu relever discrètement les numéros de plaques et photographier les véhicules clé. Dès qu'une opportunité se présenta, nous prîmes une route menant vers les bois. Nous avons cherché une bonne cachette et arrêté la voiture pour un moment afin de laisser notre rythme cardiaque redescendre à un niveau normal et nettoyer le véhicule. Finalement, nous avons pu continuer notre mission et couvrir les autres objectifs qui nous avaient été assignés, sans autres difficultés.

SCUD Déploiement de SCUD-B à Euper (Wittenberg-Lutherstadt). © BRIXMIS.

A SCUD-B deployment at Euper (Wittenberg-Lutherstadt). © BRIXMIS.


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