"Conservons et faisons grandir les traditions combatives"; tel est le slogan affiché sur la façade de ce bâtiment
à Mahlwinkel. Les lettres "CCCP" avaient été effacées du badge de la garde. © H.Mambour
"Let's keep and increase the combat traditions" (Mahlwinkel).
© H.Mambour
Le départ des unités aériennes constituait toujours une occasion privilégiée de photographier une dernière, voire parfois pour
la première et la dernière fois, les appareils des escadrilles au grand complet. Ce jour-là, il était en effet possible d'assister
aux préparatifs, aux cérémonies d'adieu et au décollage de plusieurs escadrilles, voire de tout un régiment, depuis l'intérieur
de la base. L'accès était en effet généralement autorisé, parfois organisé ou simplement toléré. Lorsque les autorités se
montraient réticentes, la pression des aérophiles suffisait quelquefois à leur forcer la main! Sinon, nous traversions les
clôtures afin d’aller nous positionner le long des taxiways ! Inimaginable, pour des esprits formatés par la Guerre froide,
n'est-il pas ?
Il était donc important de connaître les dates de départ pour assister à ces ultimes instants historiques et ô combien rentables
d'un point de vue purement spotter. Si l'information circulait relativement bien au sujet des régiments d’aviation - cette
dernière pouvait provenir du LUKO (1) ou simplement du bouche à oreille - il n’en était pas du tout de même pour
les régiments d’hélicoptères de l’Armeiskaya Aviatsiya. Les rares fois où des occidentaux ont pu assister au départ d’une unité
de l’AA, cela se passa toujours en comité restreint, l’information ne venant qu’en dernière minute et en diffusion très locale.
Ces grands containers verts étaient omniprésents sur les bases en cours d'évacuation. Contenant souvent les effets personnels
des soldats et de leurs familles, ils étaient rapatriés notamment via le port de Rostock. © H.Mambour
Those big green containers could be seen on every base being evacuated.
© H.Mambour
Aussi, après quelques mois d’activité sur le terrain, ai-je fait réaliser une lettre type en langue allemande destinée à
toutes les administrations communales des villes ou villages où se trouvaient encore des unités aériennes russes, afin d’essayer
d’obtenir la date de départ de ces dernières. Je n’ai eu en retour que peu de réponses et la plupart du temps bien trop vagues
pour être exploitables. Néanmoins, la réponse reçue de Mahlwinkel valait bien cet effort. Une réponse qui semblait par ailleurs
peu prometteuse, puisque un certain Herr Richter demandait juste à être contacté par téléphone… Gaston Botquin parlant bien
Allemand, je m’empressai donc de lui refiler le bébé en vue de tenter notre chance. La conversation téléphonique qui s’ensuivit
fut elle aussi des plus brèves, celle-ci pouvant se résumer à : « pouvez-vous venir telle semaine ? » C’était possible, nous
avons donc accepté un rendez-vous sans en apprendre davantage !
De gauche à droite, Hugo Mambour, X, Herr Richter, l'interprète, l'étudiant en journalisme, l'officier d'escorte, X. © G.Botquin
C'est ainsi que le mardi 22 mars 1994 au matin, nous parquions - comme convenu par téléphone quelques jours plus tôt - notre voiture
à proximité immédiate du corps de garde de Mahlwinkel. Au bout de quelques minutes d’attente, deux autres véhicules nous
rejoignirent.
Se trouvaient à bord le fameux Herr Richter, deux autres membres de l’administration communale, une journaliste et un étudiant en
journalisme. Dès les présentations faites, Herr Richter nous permis de rentrer facilement sur la base, direction le bureau
du Komandir Chilovsky. Ce dernier étant absent, nous furent alors dirigés vers le bureau du commandant en second. Son local, assez petit,
ressemblait plutôt à un couloir aménagé, étroit et tout en longueur. Le bureau lui-même était placé au centre, dans le sens de la longueur.
Une carte du monde surplombait ce dernier; celle-ci était organisée de telle manière que l’Union Soviétique soit située en son
centre, permettant ainsi d’appréhender l’immensité écrasante de l’ancien Empire soviétique.
En face du bureau, se trouvait un
vieux divan dans lequel nous prîmes place, le restant de la délégation s’accommodant du peu d’espace restant. L’ambiance était
plutôt froide, pour ne pas dire glaciale. Lorsque le commandant nous demanda abruptement ce que nous voulions, la réaction de l’assemblée ne
fut assurément pas à la hauteur. Manifestement, eu égard de notre expérience en la matière, les choses se présentaient très mal!
Mais c’était sans compter avec Gaston Botquin. Ce dernier commença alors à sortir nonchalamment de sa sacoche quelques photocopies
d’articles autrefois publiés dans "Le Fanatique de l’Aviation", ainsi que quelques revues aéronautiques diverses. Les articles en
question avaient bien entendu fait l’objet d’une sélection adaptée à nos interlocuteurs : "Normandie-Niemen", "Yakovlev",
"Grande Guerre patriotique"; à l’évocation de ces noms mythiques, la banquise avait fondu en un clin d’oeuil !
Au détour d’une
photo dans un magazine, nous apprenions que l’avion préféré du commandant est le Phantom… Après s’être attardés quelques minutes
sur ces publications dont certaines furent offertes, nous exprimâmes nos attentes. Aussitôt, une escorte constituée d’un officier
de l’armée ainsi que de l’épouse d’un pilote faisant office d’interprète, nous fut assignée et nous partîmes sans plus
d'atermoiements vers la zone opérationnelle !
La visite commença très calmement par un petit hangar de maintenance isolé où se trouvait un Mi-8 solitaire. Bonne idée, car à
l’extérieur, stationnaient les deux Mi-24R de Sperenberg probablement sur place pour une ultime inspection avant le grand départ. J'en
profitai pour interroger un membre d'équipage présent afin d'essayer de déterminer la dénomination exacte de ce type de machine
de reconnaissance NBC. Ne parlant aucune langue commune, la conclusion fut mise par écrit : RKhR. Mais s'agissait-il là
d'une description des fonctions de la machine ou d'une appellation officielle, voire officieuse, cela restera une énigme. A
l'issue de cet épisode, la journaliste estimant avoir tout vu et tout compris nous quittais. Mais pour nous, la visite ne faisait
que commencer...
En effet, à proximité de ce hangar et sur le chemin menant à la ligne de vol, était parqué en quelque sorte le
symbole de Mahlwinkel, à savoir le très mystérieux Antonov An-12 "électronique" visible depuis les bois bordant la base. Après
avoir photographié ce dernier comme il se doit, nous avons passé en revue quelques Mi-8 positionnés sur le tarmac, dont deux
invités originaires du 113.OSAE. L'approche des "Hip" parqués dans l'herbe semblant poser problème, nous découvrions au
téléobjectif que certains d'entre eux étaient originaire de Stendal, car portant les vestiges du badge ornant auparavant bon
nombre de machines du 440.OVP BU local. Les Mi-24V et P du régiment avaient été sortis de leurs alvéoles et étaient sagement
alignés dans l'herbe, de part et d'autre du taxiway - ce regroupement était le prélude caractéristique à un départ prochain.
Etant tous bâchés, nous nous contentâmes de deux exemplaires
non couverts ainsi que de l'Iliouchine Il-76 de passage venu évacuer quelques tonnes de matériel. Mais nous n'étions pas au bout
de nos surprises...
Après un arrêt devant les monuments locaux tels qu'un lance-roquettes Katioucha et un repas à la stolovaya
(cantine) qui nous permit de déguster d'excellents pelmienis (raviolis russes) nous sommes retournés vers la ligne de vol, d'où nous
avons pu observer le taxiage de quelques Mi-24; il y avait en effet entraînement cet après-midi-là.
Ainsi se termina avec succès ce qui était au départ un voyage dans l'inconnu. Grâce à ce contact privilégié avec l'administration
communale locale, nous pûmes par la suite assister au départ du régiment, alors qu'aucun visiteur étranger ou local, si ce n'est
Herr Richter lui-même, ne se trouvait sur place. Même les spotters anciennement est-allemands y avaient renoncé - pour cause, la mauvaise
réputation de la base et de nombreux contacts hostiles - préférant aller cueillir les appareils de l'unité à Oranienburg où ils
firent escale, tout comme nous d'ailleurs dans la foulée !
notes
(1) LUKO pour Luftraum-Koordinierungsstelle.
Service de sécurité aérienne issu des rangs de la Luftwaffe en charge, comme son nom l’indique, d’une mission de liaison
et de coordination pour l’ensemble des vols effectués par les aéronefs de combat russes - avions comme hélicoptères -
dans les cieux de la “Ehemalige DDR. Ce service exerçait également et de façon floue un contrôle du respect des normes
d’évolution édictées par les autorités de Bonn.

|