Chtourmovik

Observé pour la première fois à la fin des années soixante-dix à Ramenskoye (un centre d'essai aujourd'hui mieux connu sous le nom de Joukovsky - ou Zhukovskiy selon sa graphie anglo-saxonne) par un satellite espion, le Soukhoï Su-25 devait cependant attendre l'année 1982 et son apparition dans les cieux afghans pour se voir attribuer le nom de code OTAN de « Frogfoot ». Développé selon un concept similaire à celui adopté pour la réalisation de son homologue américain, le A-10A Thunderbolt II (bien que ressemblant plutôt à son concurrent malheureux, le Northrop A-9), le Su-25 "Frogfoot" est par excellence un avion d'assaut et d'appui dans la lignée du célèbre Iliouchine Il-2 "Chtourmovik." Ce nouvel avion venait trouver sa place dans l'inventaire de la 16.VA entre les hélicoptères de combat et les chasseurs-bombardiers classiques. Il y fit son entrée au milieu des années quatre-vingt.

Su-25 Un Su-25 de 357.OChAP équipé de réservoirs PTB-800, de conteneurs SPPU-22 abritant un canon bitube GCh-23L pivotant vers le bas et de missiles captifs d'entraînement UZR-60. © D.R.

A Su-25 of the 357.OShAP equipped with PTB-800 tanks, SPPU-22 canon pods (with a folding twin-barel GSh-23L canon inside) and UZR-60 missile training rounds. © D.R.
La survivabilité du Su-25 - protection du pilote, redondance des systèmes (1) - et en particulier sa capacité à opérer en dehors des infrastructures d'une base aérienne classique avait été poussée très loin. Ainsi, les moteurs Soyouz R95Ch pouvaient fonctionner avec cinq types de kérosènes différents, et même au diesel pour une durée limitée! De plus, le complexe AMK-8 avait été conçu afin de permettre à une section de quatre Su-25 d'opérer en toute autonomie pour une période de cinq jours depuis un terrain avancé - pourvu que le carburant et les munitions requis pour l'accomplissement des missions soient disponibles sur place. L'ensemble AMK-8 était composé de cinq conteneurs extérieurement identiques aux réservoirs supplémentaires. Le premier emportait le matériel minimum nécessaire à la maintenance; le second recevait une unité de démarrage (APU) afin de pouvoir mettre en route les moteurs et procéder aux tests des divers équipements de l'avion avant le vol; le troisième contenait un système de ravitaillement en carburant; le quatrième abritait des équipements de test et enfin, le cinquième accueillait... le mécano ! En septembre 1985, le 357ème Régiment autonome d'aviation d’assaut (Otdelniy Chtourmovoï Aviatsionniy Polk - OChAP), activé un an plus tôt à Proujany en Biélorussie, prenait progressivement ses quartiers à Brandis près de Leipzig (un escadron et quelques L-39C pour commencer). Le 225è Régiment autonome d'hélicoptères de combat stationné auparavant sur cette même base avait de son côté fait mouvement à Allstedt afin de laisser la place aux nouveaux Su-25. Ce jeu de chaises musicales s'était poursuivi par la mutation du 292è Escadron autonome d'hélicoptères de guerre éléctronique de Allstedt à Cochstedt, tandis que le 327è Escadron autonome d'hélicoptères d'appui feu quittait lui aussi Allstedt, mais pour Schlotheim.

Su-25 Trois ans plus tard, la présence soviétique en Afghanistan touchant lentement à sa fin, le 357.OChAP, jusqu’alors seul du genre en RDA, était rejoint par un régiment de vétérans : le 368.OChAP. Formé à Jiovtnevoye le 12 juillet 1984, le 368.OChAP débutait ses opérations aériennes à Kalinov en septembre 1984, avant d’être transféré, deux ans plus tard, en 1986, à Tchirtchik en Ouzbékistan d’où il était envoyé combattre en Afghanistan. Deux de ses escadrons rejoignaient Bagram au nord de Kaboul tandis que son troisième était expédié à Kandahar au sud-est près de la frontière pakistanaise. Entre octobre 1986 et novembre 1987, les appareils et pilotes du 368.OChAP participèrent à de nombreuses missions de guerre, opérant parfois au départ de Koundouz et de Chindand. Au cours de ces opérations, un pilote du régiment, le capitaine Konstantin Pavloukov, se vit attribuer pour son comportement exemplaire le titre de Héros de l’Union soviétique après qu’il ait trouvé la mort en manipulant une grenade, sans doute pour sauver ses camarades. C’est finalement en mai 1988 que le 368.OChAP quittait l’Afghanistan pour la RDA et la base de Demmin-Tutow, où il posait ses pénates en décembre 1988 après une brève relocalisation de six mois à Tchortkov en Ukraine.
Citons pour l’anecdote l’architecture de type "orientale" du bâtiment SLB35 - abritant la balise d’approche et son personnel d’entretien - qui était situé au bout de l’extrémité est de la piste de Demmin, issu probablement de l’expérience afghane !

Su-25 Gratch La situation de ces deux bases plaçait les 357. et 368.OChAP directement face à leurs zones de combat potentielles, soit la brèche de Fulda (un effondrement géologique dans le massif de Thuringe) et la grande plaine du nord de l'Allemagne. Comme c’était le cas pour les bases d’hélicoptères, ni la base de Brandis, ni la base de Tutow ne possédaient d’abris blindés pour avions. Ce détail, insignifiant en apparence, indique qu'en cas de conflit les versatiles Su-25 auraient été dispersés par section (Aviatsionniy Zveno - AZ), sur des terrains d’aéro-clubs où sur des pistes de fortune, à proximité immédiate des zones d'affrontement. Ces deux régiments d'assaut, contrairement à leurs collègues sur MiG-27 "Flogger" et Su-17 "Fitter", n’étaient pas groupés au sein d'une division mais dépendaient directement de l’Etat-major de la 16.VA. A mission particulière, contrôle particulier. Familièrement appelés Gratch (Corbeaux freux), la plupart des Su-25 "Frogfoot-A" de la 16.VA arboraient sur leur entrée d'air gauche une représentation humoristique de l'oiseau noir de nos campagnes. Cet emblème était un héritage de la campagne d'Afghanistan, lorsqu'il fut appliqué pour la première fois sur un avion fin 1984.

Su-25UB Les 357. et 368.OChAP alignaient chacun une trentaine d'appareils, au rang desquels l'on pouvait trouver quelques biplaces Su-25UB "Frogfoot-B". Ces appareils étaient parfois décorés d'un écu avec un ours, emblème de la ville d’Oulan-Oudé en Bouriatie près du lac Baïkal où ils étaient produits. Pour pallier à ce manque d'avions de conversion opérationnelle, les deux régiments avaient chacun en dotation six monoréacteurs Aero L-39C Albatros de fabrication tchécoslovaque. Possédant des caractéristiques de vol rapportées très proches de celles des Su-25, ces avions permettaient l'organisation d'un entraînement en vol relativement bon marché. En 1992, les L-39 étaient le plus souvent cloués au sol faute de pièces détachées en provenance de Tchécoslovaquie, comme suite à la désintégration du pacte de Varsovie survenue le 1er juillet 1991. En outre, les Su-25 intégraient le simulateur KTS-18 qui permettait l'entraînement à de nombreuses situations aussi bien au sol qu'en plein vol.

L-39C En novembre 1989, les MiG-23M du 65è Escadron autonome d'aviation de remorquage (de cibles) (OBAE) de Damgarten furent retirés du service au profit d'une dizaine de Su-25BM - BM pour Bouksirovchtchik Micheney - remorqueur de cible (voir > Les remorqueurs de cibles, partie 2). Il s'agissait d'une nouvelle version polyvalente d'assaut et de remorquage de cible possédant outre toutes les capacités d’avion d’assaut du modèle standard, de nouveaux réacteurs R195 plus puissants (4.300 kgp contre 4.100 kgp pour les R95Ch d’origine) à émissions thermiques réduites, un ensemble de radio navigation plus précis et les systèmes internes requis pour permettre le remorquage de cibles aériennes au profit de la D.C.A. Ainsi, les Su-25BM étaient censés emmener sous leurs ailes le conteneur du complexe Kometa composé du treuil de tractage à turbine TL-70 et d’une cible remorquée dotée de nombreux systèmes de simulation optique, IR et de télémétrie, faisant 2M13 de long et pesant 46 kg. Suivant la configuration retenue, jusqu’à quatre cibles PM-6, propulsées par fusée et destinées à simuler un avion évoluant en piqué selon un angle de 30 à 70 degrés à 900 km/h, pouvaient être accrochées sous les pylones d’emport adaptés.

Su-25BM Le conteneur treuil-cible étant monté sous l’aile gauche, un contre-poids aérodynamique ressemblant à s’y méprendre à une bombe de 500 kg était placé sous l’aile droite en compensation. Extérieurement, la cellule de ces appareils se distinguait des Su-25 standard par un dilueur de jet monté dans les tuyères de leurs réacteurs ainsi que par la présence de prises d’air additionnelles implantées sur et sous leurs nacelles moteurs aux formes légèrement modifiées à l'arrière, tous systèmes destinés à réduire leur signature infrarouge. Toutefois, la différence externe la plus évidente était l’abandon de la prise d’air située à la base de la dérive. L’association des nouveaux réacteurs à une meilleure suite de navigation faisait de cette version du "Frogfoot-A," la plus efficace de l’époque. Il avait été initiallement prévu de produire un total de 170 Su-25BM et une cinquantaine d’entre eux fut effectivement livrée avant que l’usine de Tbilissi où ils étaient manufacturés ne devienne propriété du nouvel Etat géorgien à l’issue de la désintégration de l’Union soviétique. De plus, les treuils TL-70 devant être également construits à Tbilissi, ces derniers ne furent pas livrés et pour couronner le tout, les cibles PM-6 devinrent elles aussi indisponibles car produites à Doubovaya en Ukraine. Néanmoins, la mission fut maintenue soit de manière limitée en utilisant le matériel livré à temps, soit grâce aux anciens systèmes Kometa déjà opérationnels avec les Su-17.

Su-25BM Les dix nouveaux Su-25BM du 65.OBAE furent convoyés de Tbilissi à Damgarten au mois de mai 1990. Un Su-25UB neuf avait également été réceptionné par l'unité le mois précédent. Aussi, au plus tard fin juillet 1990, deux nouveaux Su-25BM rejoignirent quant à eux directement le 368.OChAP. En octobre 1990, les avions du 65.OBAE étaient redéployés à Demmin et le personnel de l'escadron réparti entre le 357.OChAP et le quatrième escadron du 368.OChAP (2). Le 65.OBAE était en effet dissous dans la foulée le premier novembre 1990. Les codes jaunes que les avions portaient au sein du 65.OBAE seront repeints (et parfois changés) en rouge afin de les mettre en conformité avec ceux du 368.OChAP. Conséquence de l'arrivée des anciens appareils du 65.OBAE à Demmin, plusieurs Su-25 du 368.OChAP furent transférés à Brandis où ils remplacèrent vraisemblablement les machines ayant le moins de potentiel restant. C’est au printemps 1992 que sonnait le début du retrait des Su-25 de la 16.VA. Après avoir préalablement convoyé à la fin du mois de mars ses avions d’entraînement L-39C à Riajsk et une poignée de ses Su-25 à Tutow, le 357.OChAP déménageait le 28 avril 1992 ses vingt-deux derniers "Frogfoot" à Boutourlinovka, au sud-est de Voronej où le régiment était dissous.

Su-25 Une partie de ses avions et de ses pilotes étaient immédiatement transférés au 899.OChAP (3) local qui, ironie de l’histoire, constitua l’unique régiment de Chtourmovik affecté à la nouvelle 16.VA de Koubinka. Les autres machines du régiment furent quant à elles transférées au 16.ChAP à Taganrog et au 18.GvChAP "Normandie-Niemen" à Galenki en Extrême-Orient. Un an plus tard venait le tour des "Frogfoot" du 368.OChAP de Tutow. Le 15 juin 1993, faute de carburant disponible sur place en quantité suffisante pour permettre leur transfert direct vers la CEI, les trente-cinq Su-25 du 368.OChAP ralliaient, sous le commandement du Colonel Tankouchine tout d’abord Gross Dölln d’où le lendemain, 16 juin, ils s’élançaient pour rejoindre par étapes Boudennovsk, un aérodrome sis au cœur du Caucase; une région qui à cette époque bruissait déjà des combats se déroulant en Abkazie. Devenu le 368.ChAP à l’occasion de son rattachement à la 1.ChAD (Chtourmovoï Aviatsionnaya Diviziya) de Krasnodar sur le Kouban, l’ancien régiment de Su-25 de Tutow fait aujourd’hui partie de la 4ème Armée des VVS & PVO (autrefois 4.VA) russe de Rostov-sur-le-Don. Ces machines devaient cependant faire un retour à l’avant de l’actualité puisqu’en raison de leur profil très particulier, ils ont trouvé un emploi imprévu lors des conflits qui agitèrent à intervalle régulier les marches de l’ex-empire soviétique et notamment entre décembre 1994 et août 1996 en Tchétchénie autoproclamée, où les Su-25 précédemment basés à Tutow sont intervenus à de nombreuses reprises contre les forces armées de cet Etat sécessionniste de Ciscaucasie. Plus récemment encore, ce même régiment, aux côtés des 11.ORAP, 599.BAP et 487.OVP BU (4) eux aussi jadis stationnés en RDA, pris part au conflit géorgien du moins d'août 2008 où il perdit trois Su-25 (1 pilote blessé et un tué) dont un abattu par des tirs amis.


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notes

(1) En presque neuf années de guerre en Afghanistan, 23 Su-25 ont été perdus en 60.000 sorties, ce qui représente une moyenne de un appareil abattu pour 2.600 sorites...
(2) En 1989, de nombreuses unités furent dissoutes et par conséquent, beaucoup de pilotes se retrouvèrent sans avions. C'est ainsi que fut prise la décision de créer un quatrième escadron au sein de plusieurs régiments, tandis que le nombre d'appareils en service avec ces mêmes unités restait identique. Les pilotes en surplus des 4è escadrons volaient donc sur les avions des trois escadrons constitutifs d'un régiment traditionnel. Il n'est pas certain que le 357.OChAP de Brandis se vit attribuer un escadron supplémentaire. Ce fut par contre le cas à Demmin, dont le 4è escadron fut formé en novembre 1989 selon les directives officielles.
(3) Devenu par perpétuation des traditions d'unités dissoutes, le 899 "Orchanskiy" GvChAP.
(4) - 11.ORAP (4.A VVSiPVO), autrefois basé à Welzow et volant sur Su-24MR - équipement inchangé, stationné à Marinovka en 2008.
     - 599.BAP (4.A VVSiPVO), autrefois 559.APIB basé à Finsterwalde et volant sur MiG-27K. Equipé de Su-24M et stationné à Morozovsk en 2008.
     - 487.OVP BU (4.A VVSiPVO), autrefois basé à Werneuchen et volant sur Mi-8 et Mi-24. Equipement de base similaire, mais appareils modernisés         (une partie des effectifs) + Mi-9. Stationné à Bouddenovsk en 2008.


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