Roland Pietrini fit partie de la Mission
Militaire Française de Liaison (MMFL)
près du Haut commandement soviétique en Allemagne entre 1979 et 1983 avant d'être affecté à Varsovie où il poursuivit son
travail de renseignement de 1986 à 1989. Témoin direct et privilégié de ce qui fut la puissance militaire soviétique,
cet homme de terrain nous livre ici son analyse du retrait de l'Armée russe des pays qui constituèrent jadis le pacte
de Varsovie.
Des obusiers de 122mm 2S1 Gvozdika surpris sur un train en RDA. Ce matériel amphibie
équipait à raison de 18 unités par régiment, les bataillons d'artillerie des régiments de fusiliers motorisés
mettant en oeuvre des BMP ou des RCM. © Amicale MMFL.
122mm 2S1 Gvozdika self-propelled artillery on a railway in the GDR. This amphibious
armored vehicle equipped artillery batallions of the motorized infantry regiments (18 per regiment) equipped with
BMP or RCM. © MMFL Association.
Il est quasiment impossible de décrire l’immense opération de retrait des forces soviétiques des pays de l’ex-pacte de Varsovie
sans revenir sur les forces en présence au moment où Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev prend la tête en mars 1985 du PCURSS
(parti communiste de l’Union des républiques socialistes soviétiques) et en devient le secrétaire général.
La situation internationale est extrêmement tendue. La guerre d’Afghanistan mobilise militairement une partie non négligeable des
forces terrestres soviétiques mais la bataille se joue ailleurs, entre les deux grandes puissances et par opinion publique
interposée. La nomination de Gorbatchev qui est un homme issu du système intervient lorsque les caciques du Kremlin, y compris
les plus fossilisés, prennent conscience de l’immense fossé qui se creuse entre l’Occident et l’URSS dans les domaines
notamment de la recherche et de l’information. L’affaire Farewell a eu un effet boomerang lorsque les conséquences
en furent mesurées en 1983 par le KGB. Quant à la catastrophe de Tchernobyl du 26 avril 1986, elle est, à mon sens, l’un des éléments
déterminant de l’effondrement du monde socialiste et de ce qui restera pour un temps limité, leurs certitudes et de leurs
illusions. Gorbatchev est, à 55 ans, un homme dont l’intelligence et la clairvoyance ne peuvent être mises en doute. Il tente d’insuffler
une nouvelle jeunesse à l’économie de l’URSS. Il tire en partie son inspiration d'Alexander Nikolaevich Yakovlev,
un « libéral », ancien ambassadeur au Canada, et essaye progressivement de conjuguer glasnost et perestroïka
afin de sauver ce qui dans son esprit peut encore être sauvé, c’est-à-dire l’unité de la grande Russie. Mais les tenants des « avantages
acquis et des privilèges » des membres du vieux parti qui ne porte de « travailleurs » que le nom, font échouer sa politique.
Pourtant, en 1987, Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan offrent des vœux croisés à leurs deux peuples, et la gorbymania rend
plus populaire Gorby aux Etats-Unis que ne l’est à l’époque Ronald. En 1989 alors qu’il est en Chine, sur la fameuse muraille,
un journaliste demande à Gorbatchev son sentiment sur la Chine et en parlant de la muraille, il dit « très bel ouvrage.. ».
Mais, il répond « pourquoi pas ? » à la question « Voulez-vous qu’on élimine celui de Berlin ? ». En quelque sorte, la messe
est dite.
Judicieusement désigné "Twin Ears" par les occidentaux et "Tcherebouchka" (d'après un personnage de bande dessinée aux grandes
oreilles) par les soviétiques, le système R-412 "Torf" (Gazon) était une station de communication troposphérique. © Amicale MMFL.
Aptly named "Twin Ears" by NATO and "Cherebushka" (after a cartoon figure with big ears) by the Soviets,
the R-412 "Torf" (Turf) system was a tropospheric communication station. © MMFL Association.
Avril 1988, je suis quelque part entre Slubice à la frontière ouest de la Pologne et Varsovie sur la voie ferrée qui traverse
la Pologne d’ouest en est. Je décompte de manière automatique, un train de génie soviétique assez complet, dans la lueur
blafarde d’un éclairage de passage à niveau. 37 matériels divers dont du PTS-70 (engin de transport amphibie pouvant transporter
des personnels ou un véhicule), du BMKT (bateau pousseur pour maintenir un pont flottant à contre courant), des Esd20VS
(générateur électrique de puissance), des DOK (gros engin à roue ave godet, pour creuser des excavations ou des embossoirs),
de l’ATT Bat M (petit engin chenillé avec une grue multiusage), des BMP génie (différent du blindé de combat par son armement
principal qui ne comprend pas de missiles et par l'emport d'outils). En fait, un bataillon incomplet d’un régiment
génie de DFM (Division de Fusiliers Motorisés). Les wagons d’accompagnement marqués DR (Deutschen Reichsbahn )
m’indiquent sans erreur possible, que ce train provient de RDA et file vers la profondeur de la Pologne.
Après quatre ans de recherche du renseignement en RDA, où j’ai tout appris, je possède au-delà de ma passion pour ce métier
qui n’en est pas un, une certaine assurance.
Je suis officiellement simple attaché d’ambassade et secrétaire de l’attaché de défense. Ma fonction est reconnue comme étant
celle d’adjoint opérationnel de l’attaché de défense. Je participe très activement à la recherche du renseignement et rédige
mes propres notes et rapports. Nos moyens sont limités et l’organisation présente des failles. Fort heureusement les choses
ont bien changé et le renseignement est désormais devenu une priorité après les déboires inéluctables qui furent les nôtres
lors de la première guerre du Golfe. Mais les croyances sont tenaces. Encore aujourd’hui, on retrouve chez certains, de moins
en moins nombreux, il est vrai, le discours convenu d’une soi-disant surévaluation des forces soviétiques tant en quantité
qu’en qualité. Ils ont définitivement tort. Il y aura toujours une différence entre ceux qui ont vécu et ressenti physiquement
les évènements, et ceux qui analyseront avec la science des entomologistes l’histoire. Simple question de sensibilité devant
l’événement, les uns et les autres pouvant arriver aux mêmes conclusions.
Durant ces années 1988 et 1989, j’observerai, lors de ces surveillances effectuées essentiellement de nuit, des trains de
matériels en route vers la Biélorussie. Trains essentiellement de logistique, le métier consistant à faire la différence entre
ceux qui provenaient de RDA et ceux qui utilisaient les voies ferrées pour se déplacer d’un camp à un autre sur le territoire
de la Pologne. Mais cela pourrait faire l’objet d’un autre propos.
Les forces en présence en RDA (1987)
- 338.000 hommes - 11 divisions blindées - 8 divisions de fusiliers motorisés (DFM)
- 1 division d'artillerie (34ème DA) - 1 brigade d'assaut aérienne - 12 brigades de missiles
nucléaires SS-21 "Scarab" et SS-1 "Scud"
- 400 avions d'attaque au sol - 305 intercepteurs - 65 avions de reconnaissance - 375 hélicoptères
Ces forces sont toutes à effectifs complets et à dotation de guerre. Les desserrements d’unités sont constants, les déplacements
sur piste tactique sont effectués unités complètes avec leur logistique, et les matériels en panne sont soit transportés;
soit tractés. Les faiblesses ne proviennent pas de l’outil mais du moral et de la compétence de ceux qui servent cet outil.
Sans confrontation réelle, nul ne peut mesurer en fait les conséquences qu’auraient eu un affrontement direct en Centre Europe
entre le GFSA (Groupe des Forces Soviétiques en Allemagne), renforcé par les divisions est-allemandes, tchécoslovaques et hongroises, et les troupes de l’OTAN.
Groupes des forces Effectifs en hommes Chars Véhicules de combat d'infanterie Artillerie Avions de combat Hélicoptères d'attaque Missiles nucléaires
GFSA RDA 338000 4200 8200 3680 691 683 150
GFC Tchécoslovaquie 73500 1220 2500 1218 76 146 30
GFN Pologne 56000 598 485 354 201 85 20
GFS Hongrie 44670 860 1143 622 194 138 12