« Nous obtenions ainsi des photos plus ciblées mais il fallait être concentré d'une part pour faire la mise au point, et d'autre part, pour ne pas griller un film complet en quelques secondes à cause du moteur d'entraînement du film. En orbitant incliné autour d'un objectif, nous pouvions capturer beaucoup de photos d'un même sujet qui pouvaient ensuite être analysées avec des optiques spéciales qui donnaient une vue en trois dimensions. Nous arrivions même parfois à voir l'intérieur de chars, de canons automoteurs ou de transporteurs de troupes blindés. Le transpondeur embarqué qui envoyait notre position et notre altitude aux contrôleurs aériens de Berlin tombait parfois "en panne" en de telles occasions. Le pilote recevait alors une notification que le contact avait été perdu. Mais le transpondeur reprenait vie comme par magie dès que nous revenions à 300 mètres d'altitude. Les photographies plein cadre et de meilleure qualité intriguaient parfois le Colonel Thorsen qui se demandait comment nous pouvions obtenir de tels clichés depuis 300 mètres. Ma réponse consistait à dire que cela résultait de l'utilisation d'un objectif de 1000mm qui donnait l'illusion d'être très proche du sujet. En réponse, le Colonel Thorsen souriait, secouait la tête et s'en allait. Il avait auparavant été attaché militaire à Varsovie, aussi il savait très bien que les attachés et les officiers de la USMLM prenaient parfois des risques afin de réussir. Et, parfois, le plus valorisant était de ne rien dire. » « Le programme Larkspur présentait plusieurs avantages en matière de collecte de renseignements. Premièrement, nos photographies aériennes montraient les équipements sous une perspective totalement différente et fournissaient aux analystes des détails que les satellites de l'époque étaient incapables d'obtenir. Elles complétaient les photographies prises du sol donnant ainsi une meilleure estimation des capacités du matériel. Deuxièmement, nous apprécions la sécurité relative des vols en comparaison des missions au sol où nous risquions d'être détenus, percutés, pris d'assaut ou pire, pris sous le feu des Soviétiques ou des Allemands. Cependant, il n'était pas inhabituel d'être mis en joue lors de ces vols, ou, plus fréquemment, de recevoir des tirs de flares. Les pilotes avaient une totale liberté d'action pour éviter ces derniers, d'autres appareils etc. Cela nous permettait de nous concentrer sur nos objectifs. Après plusieurs mois d'activité, nous pouvions discerner certaines habitudes comme les jours d'entraînement et leur lieu, les journées de nettoyage, de maintenance, d'inspection etc. La compréhension de ces schémas nous guidait dans nos activités de renseignement. Nos observations nous permettaient également de fournir des commentaires subjectifs et des analyses personnelles sur les activités, les tactiques et l'entraînement qu'un analyste assis derrière son bureau ne pouvait pas faire aussi bien qu'une personne ayant vu de ses yeux un objectif. » Au milieu des années soixante-dix, les Beaver étaient encore actifs, mais deux Cessna O-2A Super Skymaster avaient rejoint les effectifs en 1975. Si cet avion avait l'avantage d'être bimoteur - une caractéristique appréciable en cas de problèmes au-dessus du territoire adverse - le Beaver lui était préféré car il présentait de meilleures conditions pour la photographie, en particulier lorsque les deux fenêtres trapézoidales arrières étaient enlevées. De plus, le U-6 avait des caractéristiques de vol qui le rendaient plus docile. Sa vitesse de décrochage étant moins élevée, il se récupérait plus rapidement et d'autre part, il était plus discret car moins bruyant. L'approvisionnement en pièces détachées posait problème pour les Beaver dont la production cessa en 1967, ainsi que pour les Skymaster, dont le dernier exemplaire était sorti d'usine en juin 1970. En 1976, le Major Michael Crutcher, formé par Thomas Spencer, a repris le programme et l'a réorganisé pour en faire l'un des plus productifs de la USMLM. Un ancien du Corps des Marines se souvient : « A peu près jusqu'en juillet 1979, c'est essentiellement l'USMLM qui gérait le programme. La USMLM Joint Division, responsable du côté opérationnel, était dirigée par le Lieutenant-Colonel John Guenther (USMC), un ancien représentant de la Marine (Naval Representative - NavRep (1)). Le chef de la Mission l'avait choisi à dessein à cause de la rivalité entre les éléments de l'Armée et de l'Air Force qui existait à l'époque. Les avions et les pilotes venaient toujours de la Berlin Brigade, mais le choix des objectifs et la publication des rapports appartenaient à la Mission. Aussi, la Joint Division fut mise sur pied discrètement à cette fin. Elle n'était pas grande, mais je ne me souviens plus combien de personnel était impliqué. Grâce aux efforts de John, le Corps des Marines pu affecter deux militaires - un officier de reconnaissance et un spécialiste du renseignement - au programme. En 1979, la responsabilité du planning opérationnel et des rapports fut transféré [de nouveau] à la section de renseignement de la Berlin Brigade pour des raisons internes. »
Il semblerait que le dernier Beaver ait été retiré du service en 1982. Le "Berlin Observer" du 14 mai 1982 (une publication de l'USCOB) annonçait en effet qu'un Beaver avait été donné au nouveau Musée des transports de Berlin. L'article précisait : "Cet avion particulier a été utilisé par le commandement [comprendre l'USCOB] de 1973 à 1979 pour le transport de cargo et de personnel entre Berlin et l'Allemagne de l'Ouest, ainsi que pour l'entraînement des pilotes. Mais les Beaver ont été à Berlin depuis 1962." Bel exemple de rétention d'information... Les Cessna O-2A furent quant à eux remplacés en 1979 par deux Pilatus PC-6/B2-H2 neufs dont la désignation militaire était UV-20A Chiricahua. Ces avions n'avaient pas été choisi au hasard et ils firent l'objet d'aménagements particuliers. Les deux hublots de la porte coulissante située du côté droit furent en effet remplacés par une unique fenêtre rectangulaire de grande dimension afin de faciliter les prises de vues - cette dernière était sans doute optiquement plate. Dans le même esprit, la tuyère d'échappement droite de la turbine Pratt & Whitney PT6A fut prolongée vers le bas, afin d'éviter que la chaleur dégagée par cette dernière n'engendre des photos floues. De l'examen des photos disponibles, on peut conclure que cette modification ne fut pas exécutée en usine chez Pilatus. Il est cependant probable que la porte était la plupart du temps ouverte en mission. Le Lieutenant-Colonel (Ret.) Tim Bloechl témoigne : « Le programme était placé sous les auspices du Bureau renseignement du chef d'état-major adjoint (Office of the Deputy Chief of Staff, Intelligence - ODCSI). J'ai dirigé le programme entre août 1984 et décembre 1986. En tant que Capitaine de l'Armée, j'assumais la fonction d'Officier de surveillance et de reconnaissance pour l'ODCSI, USCOB et j'étais également responsable des "Flag Tours" (2) et d'un autre projet. Le Détachement aviation était en support direct de l'ODCSI et tout mon personnel devait suivre un entraînement de personnel navigant et réussir les examens physiques pour être admis en mission. Pour nos missions, le Détachement disposait d'un complément d'adjudants pilotes placés sous le commandement d'un major. Il régnait un esprit de grande camaraderie entre ces pilotes et les 8 à 10 soldats de l'ODCSI qui exécutaient ces missions en tant que membres d'équipage et observateurs. » « On nous demandais parfois de prendre à bord des visiteurs particuliers, afin qu'ils puissent avoir un point de vue unique sur l'environnement de Berlin. Je me souviens avoir emmené une fois l'Ambassadeur américain en Allemagne. C'était une affectation très intéressante et, combiné avec les "Flag Tours" en secteur soviétique, ce fut une des meilleures tâches de renseignement de ma carrière. Chaque Allié exécutait 17 missions par mois, 365 jours par an, si toutefois la météo le permettait. Etant donné la couverture nuageuse et le brouillard dans la région de Berlin, nous étions rarement capables de mener à bien toutes les missions. Alors que ces dernières étaient planifiées sans directives de la USMLM, il existait une certaine coordination avec eux car nous nous tenions mutuellement informés de ce que chacun avait pu constater. Les observations influaient sur nos plans de vol qui consistaient en des marques au crayon gras sur les cartes. Toutes les missions se déroulaient à l'intérieur de la Zone de Contrôle de Berlin à l'altitude de croisière de 1000 pieds (300 mètres - nous descendions sous le plafond jusqu'à 150 mètres pour une courte période chaque fois que cela en valait la peine) et 3000 pieds (1000 mètres) au-dessus des aérodromes. Les MiG nous passaient sous le nez régulièrement pour nous déranger. Nous étions assis sur le côté et nous ouvrions la porte latérale coulissante pour prendre des photos. Les indicatifs étaient "Freedom City 253" et "254," ce qui correspondait aux trois derniers chiffres du serial number de chaque appareil [c/n 802 79-23253 et c/n 803 79-23254]. Les plans de vol étaient coordonnés afin que chaque Allié puisse avoir un appareil en vol chaque demi-journée, suivant un calendrier promulgué par le Commandement allié à Berlin.
Nous utilisions des Nikon F3 avec des objectifs allant jusqu'à 1000mm. A 300 mètres, avec un tel objectif et les virages serrés de nos pilotes, un char T-64 tournait dans le viseur
en nous offrant de nombreuses opportunités pour réaliser de belles photos. L'observation depuis les airs des installations soviétiques et est-allemandes donnait une
perspective différente entre ces différentes forces. Les garnisons soviétiques étaient souvent en désordre et mal entretenues. De fait, lorsque nous survolions les hangars d'Oranienburg,
nous pouvions compter le nombre d'hélicoptères parqués à l'intérieur, à travers les trous dans les toitures. Il y avait des dépotoirs partout, ces derniers fournissant des objectifs
potentiels pour la USMLM [programme Sanddune]. Par contre, les casernements est-allemands étaient très bien maintenus. On pouvait sentir le haut degré de descipline et de moral des
forces est-allemandes.
D'un point de vue historique, le Major Arthur Nicholson était dans l'avion avec moi la veille de sa mort (3).
Des officiers de la USMLM venaient périodiquement en mission avec nous afin d'observer les zones qu'ils pensaient couvrir le lendemain au sol.
Une autre fois, c'était en décembre 1985 si je me souviens bien, alors que nous étions dans les environs de l'aérodrome d'Oranienburg, trois hélicoptères soviétiques ont essayé
de perturber notre vol. Le pilote et les membres d'équipage eurent le sentiment qu'ils essayaient de forcer l'avion à atterrir. Aussi, notre appareil s'éloigna quelque temps avant
de revenir vers le terrain pour voir ce qui pouvait bien s'y tramer. Notre QG n'apprécia pas cette décision ! Mais autrement, les missions se déroulaient le plus souvent sans incident.
Notre plus grand défi était habituellement la météo. Un plafond bas et une visibilité réduite, spécialement en hiver, entraînaient l'annulation de beaucoup de missions.
De plus, en hiver, il faisait terriblement froid quand la porte latérale était ouverte ! »
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ La rédaction de cet article aurait été impossible sans l'aide des personnes suivantes : Bill Burhans (USMLM), Thomas Spencer (USMLM), Nicholas Troyan (USMLM) et Tim Bloechl (USCOB). ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ notes
(1)
The USMLM Naval Representative 1949-1990 > LIEN.
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