Outre les unités aériennes équipées d'avions de reconnaissance, le Groupe des forces soviétiques en Allemagne a aligné
à partir de la fin des années soixante-dix des drones de reconnaissance dont les escadrons furent successivement subordonnés à la 16.VA, à l'état-major
des armées terrestres et enfin de nouveau à la 16.VA. Ce type d'appareil offrait alors une plus grande précision dans la collecte du renseignement que les
vecteurs pilotés de l'époque, c'est-à-dire les MiG-21R et les Yak-28R. Fort de l'expérience accumulée avec les extraordinaires drones de reconnaissance à long rayon d'action Tu-123 - complexe DBR-1 Yastreb (Faucon) - (> Lien), l'OKB-156 de Toupolev commença à développer un nouveau système de reconnaissance désigné VR-3 Reys (Voyage) comprenant le drone Tu-143 au milieu des années soixante. Le cahier des charges exigeait notamment que l'appareil puisse voler à haute et basse altitude (de 50 à 5000 mètres - en conditions opérationnelles, de 100 à 3000 mètres semble-t-il) y compris en terrain montagneux, avoir une signature radar limitée et pouvoir être récupéré dans une zone équivalente à un carré de 500 mètres de côté (ou 700 mètres selon les sources). Le premier vol d'un Tu-143 eut lieu en décembre 1970 et les essais officiels se terminèrent en 1976 - le système étant officiellement adopté par l'Armée soviétique en 1982, non sans qu'il ne soit utilisé auparavant comme lors de l'exercie "Zapad 81". Mais dès 1972, un premier lot d'une dizaine d'appareils - en quelque sorte une pré-série - fut construit à l'usine de Koumertaou en Bachkirie, la production en série débutant ensuite pour se terminer en 1989 après que 950 exemplaires aient été assemblés (le complexe Reys a également été exporté en Tchécoslovaquie, en Roumanie et en Syrie où il connut le combat au-dessus du Liban). Outre les Tu-143 eux-mêmes, le complexe VR-3 comprenait les véhicules nécessaires à leur mise en oeuvre, leur reconditionnement pour un nouveau tir et l'analyse des informations collectées. Il s'agissait essentiellement de transporteurs TZM-143 (châssis de véhicule BAZ-135MB > Lien), de rampes de lancement mobiles SPU-143 (> Lien), de trois véhicules de test et de maintenance formant l'ensemble KPK-143 (un groupe électrogène APA-50M monté sur châssis ZiL-131 (> Lien) et deux stations de contrôle et de tests mobiles KIPS-1 et KIPS-2 - Kontrol'no-Proverotchniye Stantsii) et enfin d'une unité de traitement des informations POD-3 (développement et interprétation photo et video, analyse radiations, transmission des informations à qui de droit). Quatre complexes VR-3 étaient affectés à chaque escadron, ce qui représentait un total de douze exemplaires de Tu-143 (quatre transporteurs avec deux drones chacun et quatre rampes de lancement avec un drone chacune). De plus, une ou plusieurs camionnettes UAZ-452T-2 (Topoprivyazchik - Topographe) destinées à relever les coordonnées géographiques du site avant le lancement (> Lien 1 / > Lien 2) accompagnaient l'escadron, de même que un ou deux véhicules de lutte contre les incendies de type AA-40 (châssis ZiL-131 > Lien). A cela s'ajoutaient les véhicules nécessaires pour faire les pleins de carburant, huile, air comprimé etc. Un escadron était susceptible de se (re)déployer dans un rayon de 500km. Cet appareil de reconnaissance diurne était propulsé par un réacteur Izotov TR3-117 fournissant une poussée de 640kg qui lui permettait de voler à la vitesse maximale de 950 km/h. Un propulseur d'appoint à carburant solide SPRD-251 largable assistait le lancement du drone sous un angle de 15 degrés - le poids au décollage atteignait 1600 kg avec cette fusée. Le cône nasal détachable offrait ainsi la possibilité de monter trois suites de reconnaissance distinctes. Il y avait d'une part le complexe traditionnel de reconnaissance photographique équipé d'un appareil panoramique PA-1 (> Lien) avec 120 mètres de film, d'autre part une variante de reconnaissance TV composée de la suite I-429B Tchibis-B (Vanneau) transmettait les images par data link vers les postes de commandement (les meilleures prises de vue étaient obtenues depuis une altitude de 200 mètres; de plus leurs coordonnées géographiques étaient transmises également en temps réel par radio), et, enfin, un ensemble Sigma-R destiné à analyser le degré des radiations dans l'air à l'aide de dosimètres - le résultat des relevés le long de la route de vol était également retransmis au sol par liaison radio. C'est le système de contrôle automatique embarqué ABSU-143 (Avtomatitcheskaya Bortovaya Sistema Oupravleniya) qui assurait entre autres la stabilité du drone en fonction de son centre de gravité, le respect des paramètres de vol, déclenchait les prises de vues ou encore le relevé des coordonnées. Contrairement au Tu-141 développé à peu près en même temps (voir "Versions, dérivés et cousins" en bas de page), le Tu-143 ne s'éloignait guère du champ de bataille avec un rayon d'action généralement limité à 60-70km, soit environ 13 minutes de vol. Avant le tir, le véhicule lanceur était positionné à un point donné déterminé avec l'équipement désigné "Kvadrat" (Carré). Parmi le matériel utilisé à cette fin, on trouvait un théodolite 2T2 surnommé "thermomètre" (> Lien) et un gyrocompas 1G17 débarqués d'un véhicule UAZ-452T-2. Autant de matériel également mis en oeuvre par les unités d'artillerie. On comprendra d'autant mieux l'importance de cette étape en réalisant que le profil de vol qui ne permettait de réaliser que deux virages était pré-programmé au sol pour être ensuite introduit dans l'unité BVD-1 du Tu-143 juste avant le décollage. Le personnel effectuant les tests pré-vol et lançant la mise à feu se trouvait à l'intérieur de la cabine du lanceur SPU-143 (> Lien 1 / > Lien 2 / > Lien 3) dont le toit était en fibre de verre pour des raisons de résistence mécanique. Celui-ci subissait en effet le jet de la fusée d'appoint au décollage et se déformait momentanément. Une plaque de protection articulée était auparavant rabattue devant le pare-brise, tandis que deux autres plaques plus petites montées de part et d'autre du radiateur en temps normal étaient placées devant celui-ci afin de le préserver au moment du décollage. Avant l'atterrissage, le réacteur Izotov s'arrêtait et le drone prenait une pente de montée importante pour casser sa vitesse. Un premier parachute de freinage (dont le carénage est visible à la base de la dérive) se déployait alors. Ce dernier était ensuite largué et un parachute plus important logé dans le gros carénage situé à l'arrière au-dessus de la tuyère du réacteur était à sont tour déployé au-dessus du Tu-143 (photo ci-contre). Le train d'atterrissage pouvait dès lors sortir, de même que des sondes d'impact. Lorsque celles-ci touchaient le sol, une rétro-fusée située sous le parachute était mise à feu, réduisant ainsi la vitesse de chute de 6m/sec à 2m/sec. Finalement, quand le train touchait le sol, la compression de ses amortisseurs enclenchait le largage du parachute et de sa fusée afin d'éviter le retournement éventuel du drone par une rafale de vent (> Video). Un camion TZM-143 muni d'un bras articulé était chargé de récupérer le drone une fois posé.
Préparation des parachutes.
Un village de RDA vu depuis un Tu-143. Selon un témoignage posté sur un forum russe, toutes les unités de BPLA (Bespilotniy Letatelniy Apparat - véhicules aériens sans pilote) se déployaient en même temps deux fois par an sur le polygone de Wittstock. C'est bien là que des observations de Tu-143 sont rapportées dans le compte-rendu annuel pour 1983 de la USMLM. Celui de 1984 mentionne quant à lui que la MMFL a photographié des drones à plusieurs reprises à Wittstock cette année-là. Dans la mesure où la photo ci-contre à droite est d'origine française (bien qu'elle puisse avoir été prise par une autre mission militaire de liaison), il s'agit peut-être de l'une d'entre elles. Les véhicules de ces unités ont cependant été observés sur divers champs de manoeuvre tels que Magdebourg (Letzlinger Heide) et Redlin. Vu l'exiguité du territoire de la RDA englobant de plus Berlin-Ouest en son centre, les Tu-143 étaient généralement accompagnés de chasseurs chargés de les abattre en cas de perte de contrôle. Toujours d'après un témoignage, un appareil du 269.OEBSR équipé d'une suite de reconnaissance TV aurait néanmoins été perdu en 1986 dans le Müritzsee, près de Lärz. Mais le déploiement bisannuel à Wittstock n'était sans doute pas une règle systématique, car les unités s'exerçaient également sur des polygones situés en URSS, tels que Kapoustine Yar, Mary (Djebel - Turkmenistan) ou Tchimkent (Kazakhstan). Le nombre d'heures de vol annuelles de ce type d'unité était paraît-il très faible, de l'ordre de 2 à 3 heures. Sur 24 escadrons de "Reys", 17 furent dissous en 1989. Avec de nouveau le retour de ces unités sous le contrôle de l'armée peu après et malgré la nécessité de garder davantage de ce type d'unité active, les temps n'étaient plus favorables à une telle évolution et 70% des effectifs passèrent à la trappe ( > Lien vers stockage de véhicules). Les Tu-143 ont encore volé longtemps dans des contextes différents. Le M-143 (système VR-3VM), version du Tu-143 faisant office de cible entrée en service en 1985 a continué de servir d'objectif pour les missiles sol-air (1). D'autres - à moins qu'il ne s'agisse de Tu-143 ? - ont terminé leur carrière en tant que cible pour l'aviation de chasse notamment en Ukraine, comme en témoignent quelques vidéos : > Lien 1 / > Lien 2. (2). Plus récemment, quelques Tu-143 ukrainiens ont été utilisés dans le cadre de la guerre du Donbass.
Versions, dérivés et cousins
- Outre le drone cible M-143 évoqué en fin d'article, un autre dérivé du Tu-143 simplement baptisé "143" était une version destinée à larguer des tracts. Un total de 19kg de matériel pouvait se loger dans
le nez spécialement adapté à cette mission particulière, le largage se faisant en bloc ou en séquence. notes
(1)
Le 4 octobre 2011, un Tu-154M de Sibir Airlines reliant Tel Aviv à Novosibirsk fut abattu par un missile 5V28 provenant d'une batterie de S-200V
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||